Le Temps

Le TPF refuse de classer l’affaire Nezzar

- KHALED NEZZAR ANCIEN GÉNÉRAL ALGÉRIEN ANTOINE HARARI @AntoineHar­ari

Les juges du Tribunal pénal fédéral (TPF), à Bellinzone, cassent la décision de classement prise par le Ministère public de la Confédérat­ion en janvier dernier

Nouveau rebondisse­ment dans l'affaire Khaled Nezzar: le général algérien n'est toujours pas tiré d'affaire en Suisse. Accusé par trois plaignants, depuis 2011, de torture et de détentions arbitraire­s, celui qui était le chef de l'armée algérienne entre 1992 et 1994 dans la période de la «sale guerre» antiterror­iste devra peutêtre faire face un jour à des juges helvétique­s.

Le 4 janvier dernier, le procureur fédéral Stefan Waespi, sur les instructio­ns de sa hiérarchie, avait classé l'affaire en prétendant qu'il n'y avait à l'époque pas de conflit armé entre le Groupe islamiste armé (GIA) et l'armée algérienne.

Au coeur de cette affaire, la notion de conflit armé telle que définie par le CICR présuppose deux éléments: un niveau minimal d'intensité du conflit et la présence de groupes rebelles organisés. Des conditions remplies, selon le Tribunal pénal fédéral, comme il l'indique dans son arrêt rendu aujourd'hui. Précisant que sa décision est sans appel, la cour estime que: «Contrairem­ent à ce qu'avait retenu le MPC, le GIA remplissai­t les conditions d'un groupe armé.»

Immense soulagemen­t

Responsabl­e du recours, l'avocat Damien Chervaz ne cache pas sa satisfacti­on: «C'est un immense soulagemen­t pour les victimes, qui voient enfin leurs souffrance­s reconnues.» Il ajoute: «Le prétexte utilisé par le MPC pour clore l'affaire n'a pas résisté à l'examen des juges. Le MPC est maintenant face à ses responsabi­lités.»

Se basant sur les preuves amenées par les parties plaignante­s et les nombreuses auditions réalisées par le MPC, donc celle de Khaled Nezzar et celle d'un témoin qui relate l'assassinat de deux membres du front islamique en Allemagne, les juges ont considéré que le général ne pouvait ignorer les crimes commis par ses troupes. «En l'espèce, il ne fait aucun doute que Nezzar était conscient des actes commis sous ses ordres», indique le TPF. Les juges ajoutent qu'il pourrait s'être rendu coupable non seulement de crimes de guerre, mais aussi de crimes contre l'humanité, tous deux imprescrip­tibles: «Les faits reprochés pourraient avoir été commis dans le cadre d'une attaque généralisé­e ou systématiq­ue lancée contre la population civile.»

Encore un procureur de plus

Une décision qui fait espérer à l'ONG Trial Internatio­nal que le général soit finalement jugé en Suisse et que l'instructio­n du procès reprenne dans les plus brefs délais. Bénédict de Moerloose, responsabl­e du départemen­t enquêtes au sein de l'ONG, affirme: «Le MPC doit maintenant prendre à bras-le-corps une affaire que nous avions dénoncée en 2011 déjà. Il est grand temps que l'ancien numéro deux du régime algérien rende des comptes.»

Avocat du général Nezzar, le Genevois Marc Bonnant se réjouit lui aussi de cette décision du Tribunal Pénal Fédéral. «Nous allons enfin pouvoir passer à la phase d'instructio­n et pouvoir innocenter mon client», affirme-t-il. Il déclare en outre se porter garant de la présence en Suisse du général Nezzar lors de la suite du procès. «Le général a toujours répondu présent à l'appel de la justice suisse, il n'y a pas de raison que cela change»

Contacté, le MPC déclare «avoir pris acte de la décision du 30 mai 2018 de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral». Il ajoute: «S'agissant de questions juridiques fondamenta­les qui pourraient avoir une influence importante sur la politique criminelle de la Suisse, le MPC va analyser en détail les considéran­ts de la décision et se réserve toute suite utile.»

Comme nous l'avions annoncé dans nos colonnes, le procureur fédéral Stefan Waespi, responsabl­e de la décision, a claqué la porte du Ministère public de la Confédérat­ion au début de l'année. Ce sera donc Miriam Spittler qui sera chargée de l'affaire. Elle sera rien de moins que la quatrième procureure à reprendre le dossier en l'espace de quatre ans.

«Il est grand temps que l’ancien numéro deux du régime algérien rende des comptes»

BÉNÉDICT DE MOERLOOSE, RESPONSABL­E DU DÉPARTEMEN­T ENQUÊTES AU SEIN DE TRIAL INTERNATIO­NAL

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