Une feuille de route ambitieuse
LES PIEDS DANS LE PLAT
Comme le veut la tradition à Genève, le président du Conseil d’Etat a délivré son discours de Saint-Pierre à l’occasion de la prestation de serment à la cathédrale. A l’automne, le gouvernement développera cette première esquisse sous forme d’un programme de législature complet. C’est à ce moment que l’indispensable débat pourra vraiment commencer.
Certains observateurs ont estimé que le discours – un peu grandiloquent il est vrai – faisait une part trop belle à l’héritage du passé. En réalité, une lecture attentive du discours ne laisse aucun doute, le gouvernement s’est fixé des objectifs très ambitieux pour les années à venir. Il n’a guère le choix? Après une législature peu féconde (perdue diront les esprits le plus critiques) le gouvernement est en quelque sorte condamné à réussir, sinon notre canton connaîtra des années vraiment difficiles.
Le Conseil d’Etat a affirmé sa volonté de relever trois défis majeurs: préserver l’attractivité économique du canton, en s’assurant qu’elle profite à l’ensemble de la population, tout en réalisant rapidement les infrastructures de transports publics (trams transfrontaliers) nécessaires à un fonctionnement plus harmonieux de la métropole genevoise.
On sait depuis 2011 que, sous la pression de l’OCDE, les statuts fiscaux spéciaux, qui ont permis depuis des décennies d’attirer des multinationales de premier plan, seront abolis. On sait aussi que ces entreprises quitteront le canton si cet avantage leur est retiré sans que le taux d’imposition général soit fortement réduit. Si ce scénario devait se réaliser, les experts estiment que Genève perdrait (par effet direct et indirect) 60000 à 70000 emplois et un bon milliard de recettes fiscales (principalement sur les personnes physiques). L’application de l’égalité de traitement fiscal sans perte d’attractivité exige de fixer un taux compris entre 13 et 14%, ce qui pour Genève se solde par une perte de recettes fiscales de l’ordre de 350 à 400 millions, après déduction de la compensation fédérale (augmentation de la part cantonale à l’impôt fédéral direct).
On peut tourner la question dans tous les sens, il n’est pas réaliste, ni politiquement ni économiquement, de compenser directement ces pertes. La seule option est donc de s’inspirer de la solution qui prend forme au niveau fédéral, soit l’établissement d’un véritable contrat social avec une solution conjointe pour le maintien de l’attractivité fiscale et des prestations AVS.
Le discours de Saint-Pierre parle bien d’un nouveau contrat social mais les pistes avancées par le gouvernement, principalement en matière de formation et de réinsertion professionnelle, sont trop vagues pour être convaincantes. Pour parler d’un nouveau contrat social, il faut que le gouvernement et le parlement acceptent l’initiative pour un salaire minimum (23 francs de l’heure) déposée par les syndicats et la gauche genevoise. On aura ainsi la garantie que le maintien de l’attractivité économique du canton permettra de donner un coup d’arrêt à la montée des inégalités que l’on observe depuis des années. Le salaire minimum constitue également une arme de choix contre le dumping fiscal et l’une des mesures d’accompagnement de la libre circulation des personnes les plus efficaces. Il aurait aussi des conséquences pour l’Etat, en générant une légère augmentation des recettes fiscales et en réduisant la facture de l’assistance.
Ce compromis historique est-il possible? L’avenir nous le dira. Osons espérer le meilleur en citant ces quelques lignes du discours de Saint-Pierre: «Le peuple veut que ses autorités travaillent. Qu’elles négocient. Qu’elles s’entendent. Qu’elles dépassent les dogmes. Le peuple n’attend pas de son gouvernement qu’il reproduise les divergences qui fissurent la société. Il nous désigne au contraire pour les dépasser.» ▅