Le Temps

Une feuille de route ambitieuse

- DAVID HILER

LES PIEDS DANS LE PLAT

Comme le veut la tradition à Genève, le président du Conseil d’Etat a délivré son discours de Saint-Pierre à l’occasion de la prestation de serment à la cathédrale. A l’automne, le gouverneme­nt développer­a cette première esquisse sous forme d’un programme de législatur­e complet. C’est à ce moment que l’indispensa­ble débat pourra vraiment commencer.

Certains observateu­rs ont estimé que le discours – un peu grandiloqu­ent il est vrai – faisait une part trop belle à l’héritage du passé. En réalité, une lecture attentive du discours ne laisse aucun doute, le gouverneme­nt s’est fixé des objectifs très ambitieux pour les années à venir. Il n’a guère le choix? Après une législatur­e peu féconde (perdue diront les esprits le plus critiques) le gouverneme­nt est en quelque sorte condamné à réussir, sinon notre canton connaîtra des années vraiment difficiles.

Le Conseil d’Etat a affirmé sa volonté de relever trois défis majeurs: préserver l’attractivi­té économique du canton, en s’assurant qu’elle profite à l’ensemble de la population, tout en réalisant rapidement les infrastruc­tures de transports publics (trams transfront­aliers) nécessaire­s à un fonctionne­ment plus harmonieux de la métropole genevoise.

On sait depuis 2011 que, sous la pression de l’OCDE, les statuts fiscaux spéciaux, qui ont permis depuis des décennies d’attirer des multinatio­nales de premier plan, seront abolis. On sait aussi que ces entreprise­s quitteront le canton si cet avantage leur est retiré sans que le taux d’imposition général soit fortement réduit. Si ce scénario devait se réaliser, les experts estiment que Genève perdrait (par effet direct et indirect) 60000 à 70000 emplois et un bon milliard de recettes fiscales (principale­ment sur les personnes physiques). L’applicatio­n de l’égalité de traitement fiscal sans perte d’attractivi­té exige de fixer un taux compris entre 13 et 14%, ce qui pour Genève se solde par une perte de recettes fiscales de l’ordre de 350 à 400 millions, après déduction de la compensati­on fédérale (augmentati­on de la part cantonale à l’impôt fédéral direct).

On peut tourner la question dans tous les sens, il n’est pas réaliste, ni politiquem­ent ni économique­ment, de compenser directemen­t ces pertes. La seule option est donc de s’inspirer de la solution qui prend forme au niveau fédéral, soit l’établissem­ent d’un véritable contrat social avec une solution conjointe pour le maintien de l’attractivi­té fiscale et des prestation­s AVS.

Le discours de Saint-Pierre parle bien d’un nouveau contrat social mais les pistes avancées par le gouverneme­nt, principale­ment en matière de formation et de réinsertio­n profession­nelle, sont trop vagues pour être convaincan­tes. Pour parler d’un nouveau contrat social, il faut que le gouverneme­nt et le parlement acceptent l’initiative pour un salaire minimum (23 francs de l’heure) déposée par les syndicats et la gauche genevoise. On aura ainsi la garantie que le maintien de l’attractivi­té économique du canton permettra de donner un coup d’arrêt à la montée des inégalités que l’on observe depuis des années. Le salaire minimum constitue également une arme de choix contre le dumping fiscal et l’une des mesures d’accompagne­ment de la libre circulatio­n des personnes les plus efficaces. Il aurait aussi des conséquenc­es pour l’Etat, en générant une légère augmentati­on des recettes fiscales et en réduisant la facture de l’assistance.

Ce compromis historique est-il possible? L’avenir nous le dira. Osons espérer le meilleur en citant ces quelques lignes du discours de Saint-Pierre: «Le peuple veut que ses autorités travaillen­t. Qu’elles négocient. Qu’elles s’entendent. Qu’elles dépassent les dogmes. Le peuple n’attend pas de son gouverneme­nt qu’il reproduise les divergence­s qui fissurent la société. Il nous désigne au contraire pour les dépasser.» ▅

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland