Le Temps

LYRIQUE «DON GIOVANNI»: LA MUSIQUE D’ABORD

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

Dès le premier accord lancé comme un coup de poing douloureux, on sait que la musique sera la véritable maîtresse du Don Giovanni qui clôt la saison du Grand Théâtre de Genève. Stefan Soltesz et l’OSR le prouvent tout au long du spectacle, tant le feu sec, la tension rageuse, l’équilibre des pupitres et la densité du discours tiennent l’ouvrage serré. Ecouter l’opéra de Mozart les yeux fermés? Oui, pour en savourer la vitalité narrative et la verdeur presque baroque des sonorités, qui trouvent leur parfait déploiemen­t dans la salle boisée de l’ODN. Non, pour profiter du jeu engagé des chanteurs dont Simon Keenlyside tient à lui seul l’essentiel du plateau. Le baryton pousse le rôle-titre à ses limites dans un jeu décomplexé et électrique. Sa voix? Elle conserve une prestance et une projection magnifique­ment maîtrisées, à un âge où certains endossent des personnage­s de pères ou de monarques.

Simon Keenlyside a tout pour camper le rôle. Physique sportif et séduisant sur un jeu alerte et insaisissa­ble. Acteur dans l’âme, le chanteur développe à l’extrême la perversité du cocaïnoman­e, violeur en série et alcoolique.

Grâce à lui, le personnage atteint un sommet de veulerie. Le dévoyé vire au débraillé sans foi ni loi, plus victime de ses addictions que manipulate­ur qui capture ses proies au Polaroïd. Mais une banalité désolante.

Le «Dissolu» résiste au metteur en scène David Bösch, qui accumule les pistes sans ligne directrice. Pourquoi un théâtre désaffecté envahi d’herbes sèches alors que rien ne vient donner sens à ce décor figé dans sa beauté poussiéreu­se?

Traiter le dramma giocoso en opéra bouffe? Le défilé de femmes épuisées agitant les drapeaux de leur pays (dont celui de la Suisse) ou les déhancheme­nts de Saturday Night Fever sous des lumières de boules à facettes ne suffisent pas à sortir l’ouvrage de son lit de drames.

D’autant que la direction d’acteur s’avère relâchée et la définition psychologi­que superficie­lle, chacun chantant de son côté sans grand lien avec ce qui se dit ou se joue.

Il faut donc une belle force de conviction pour retendre les ressorts de la mise en scène. Les solistes s’y attachent vaillammen­t. David Stout offre à Leporello l’abattage du bon vivant sur une voix sanguine et un grain boisé.

Ses collègues masculins tiennent solidement la rampe, avec un Masetto juvénile (Michael Adams), un Commandeur résonnant (Thorsten Grümbel) et un Don Ottavio un rien empesé (Ramon Vargas).

Du côté des femmes, on tient un brelan de reines. Myrto Papatanasi­u compose une Elvira séduisante, Patricia Ciofi, une Anna d’une grande finesse et Mary Feminear, une Zerline de tempéramen­t. Autant dire des personnali­té féminines dominantes. ODN, jusqu’au 17 juin. Rens: 022 322 50 50, www.geneveoper­a.ch

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