Bras de fer social autour de la mort du «Matin»
La dernière édition papier du quotidien orange sortira le samedi 21 juillet. Les 41 licenciements annoncés promettent une intense procédure judiciaire
Devenue inéluctable en raison de lourdes pertes, de la chute de la publicité et du tirage, la fin du journal populaire Le Matin a suscité jeudi des réactions virulentes. La présidente du Conseil d’Etat vaudois, Nuria Gorrite, a dénoncé «une coupe dans l’identité romande». «C’est dégueulasse, ajoute, amer, un employé du titre. Ils veulent qu’on fasse le journal comme si de rien n’était [jusqu’au 21 juillet], pour ne pas perdre les partenariats avec le Montreux Jazz et le Paléo. Et puis ils tirent la prise…»
Mais au-delà des protestations d’usage, les personnels touchés par la suppression du titre – qui ne survivra que sur internet – ont cette fois un vrai atout dans leur manche. Ils se sont adjoint les services de l’avocat vaudois Michel Chavanne, membre du cabinet de Luc Recordon. Il veut utiliser la procédure de conciliation entre l’éditeur Tamedia et les employés pour faire reconnaître les futurs licenciements comme abusifs et obtenir deux mois d’indemnités salariales en plus à chaque personne concernée.
«Ils veulent qu’on fasse le journal comme si de rien n’était» UN EMPLOYÉ DU TITRE
PRESSE La transformation, par Tamedia, du quotidien orange en «pure player» ne convainc pas les internautes
«La Suisse romande sans les caissettes (et les manchettes!) du Matin, ce ne sera plus jamais pareil! C’est un morceau de culture populaire qui disparaît», regrette une internaute. «Dommage, j’aimais bien me poser dans un café et lire Le Matin», écrit un de ses habitués. «Je le lis pas, mais ça fait toujours quelque chose», voit-on aussi sur Twitter. La mort annoncée d’un journal n’est jamais anodine, pour ses lecteurs comme pour ses non-lecteurs. Le quotidien orange héritier de La Tribune de Lausanne et créé il y a trentequatre ans avait ses fidèles, qui se font entendre, alors que son propriétaire, Tamedia, a annoncé la disparition de sa version imprimée pour la fin de juillet. «Voilà un problème de réglé pour savoir qui va lire Le Matin en salle de pause!», se plaint un lecteur sur la page Facebook du média.
Beaucoup de commentaires concernent le modèle économique du journal. «C’est le N° 1 des quotidiens payants en Suisse romande, d’après Tamedia – et ils le font disparaître. Je ne comprends pas…» se demande une internaute sur Twitter. «Est-ce qu’il y a des grèves de prévues? Ou allez-vous laisser Tamedia détruire un journal, licencier des journalistes alors que le groupe a fait 120 millions de bénéfices NETS?» enchaîne une autre. Selon le communiqué de l’éditeur, Le Matin a perdu 6,3 millions de francs en 2017 et près de 34 millions ces dix dernières années. «L’arrivée du quotidien gratuit 20 minutes a signifié sa mort. Les pendulaires achetaient tous les jours Le Matin, maintenant ils se servent dans les caissettes gratuites de 20 minutes», commente un lecteur du site du quotidien orange.
Peu d’internautes semblent faire la différence entre la fin du journal imprimé et la mort du titre. « Le Matin, premier journal romand 100% numérique? Plus tard on accrochera cette phrase au musée du déclin des éditeurs», ironise un Alémanique. «Ils resteront quinze? Suffisant pour faire de la traduction de l’allemand», plaisante un autre. Et le compte anonyme Inside SDA, qui raconte les dessous de l’Agence télégraphique suisse, toujours en crise, de soupirer: «Encore un client de moins.»
Nombre de commentateurs prennent simplement acte, sans émotion particulière. «Ben alors… de quel édito/manchette de beauf on va se moquer maintenant?» plaisante Cowboy Kate sur Twitter. «J’ai regretté La Suisse et le Journal de Genève, mais franchement, Le Matin, je ne m’apercevrai même pas de sa disparition!» constate un lecteur du Temps. «On ne débat pas du goût des capsules quand #nespresso ferme. On ne discute pas de ligne rédactionnelle quand des dizaines de collaborateurs #LeMatin risquent de perdre leur emploi. Un peu de décence», proteste Raphaël Pomey sur Twitter. Ce que conteste @TheNorz: «Pas d’accord. Quand la ligne rédactionnelle consiste (avant le sport et les people) à énerver tout le monde, à nourrir les extrêmes et à nuire à l’équilibre de la société, c’est un enjeu qui va au-delà des emplois, même si ce dernier point ne laisse forcément pas insensible.»
«Vous adoriez le détester tout en le lisant? La disparition du Matin, c’est la (mise à) mort de la presse à petit feu, encore et toujours, et des journalistes qui disparaissent», constate aussi sur Twitter tristement le journaliste de la RTS Frédéric Mamaïs. «Quelle honte. Des groupes alémaniques dépècent la diversité de notre presse francophone en Suisse, au nom de calculs économiques à court terme, loin du terrain, loin des préoccupations de ces régions dont ils ignorent tout. Courage aux employés», se désole le blogueur-journaliste Grégoire Barbey. La fin du Matin, le nouveau début d’un débat politique déjà entamé après la fermeture de L’Hebdo et les licenciements à l’ATS.
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