Le Temps

L’art de l’équilibris­me politique

- BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

A en croire ceux qui l’ont discrèteme­nt façonné pendant plusieurs semaines, le compromis trouvé pour réformer l’imposition des sociétés et apporter de l’argent frais à l’AVS traduirait «l’art du compromis politique». Il faut plutôt parler d’équilibris­me politique, tant la solution proposée paraît bancale et discutable. Elle semble cependant avoir de bonnes chances d’être approuvée, car personne n’a trouvé mieux. Faute de grives, on mange des merles. Ou l’on avale des couleuvres, selon le point de vue qu’on adopte.

L’idée de lier les deux dossiers trouve son origine dans l’échec de la troisième réforme de l’imposition des sociétés, la RIE III, en 2017. Elle avait pour but d’abolir les statuts spéciaux des sociétés, condamnés par l’UE et l’OCDE, de préserver l’attractivi­té de la Suisse pour les multinatio­nales et d’abaisser le niveau général des impôts pour les entreprise­s.

Or, un tel projet n’a aucune chance de réussir si la population n’en tire aucun profit direct. Le canton de Vaud a été cité en exemple: il a réussi sa mue fiscale parce qu’il l’a précisémen­t flanquée d’un volet social. Comme la compensati­on proposée par le Conseil fédéral – le relèvement des allocation­s familiales – n’était pas une réponse adéquate, la commission économique du Conseil des Etats a cherché autre chose. Et a eu l’idée de lier la réforme fiscale à l’AVS.

Elle a ainsi fait preuve de créativité. C’est ce qu’on attend du monde politique. Dans le cas présent, elle a cependant donné naissance à un être hybride qui divise les esprits. Personne ne crie victoire. Même l’Office fédéral de la justice est perplexe: interrogé sur la question de l’unité de la matière, il qualifie ce compromis de «défendable» tout en relevant que c’est un «cas limite». On verra ce que le Conseil national en fera. Peut-être ne trouvera-t-il pas mieux et laissera, en fin de compte, le peuple décider lui-même du succès ou de l’échec de ce paquet socio-fiscal.

Mais certaines questions ne pourront être éludées. Premièreme­nt, les 2 milliards promis au fonds AVS ne suffiront pas à sortir celui-ci durablemen­t du marasme. Une réforme structurel­le des retraites reste incontourn­able après l’échec de la réforme Prévoyance vieillesse 2020. Elle ne pourra être mise au rebut sous prétexte que l’AVS recevra davantage d’argent de la part de la population active cotisante et de la caisse fédérale.

Deuxièmeme­nt, les conséquenc­es précises de ces décisions sur le ménage fédéral restent à établir. Certes, les derniers exercices comptables se sont tous soldés par des résultats positifs. Cela a permis à la Confédérat­ion d’engranger un petit magot, dont une partie peut être affectée à l’AVS. Mais d’autres projets sont en attente de financemen­t, comme l’égalité de traitement fiscal des couples mariés et des concubins. L’exercice d’équilibris­me est loin d’être achevé.

Une réforme structurel­le des retraites reste incontourn­able

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