Le Temps

Unternehme­nskommunik­ation mon amour

- ALEXIS FAVRE COPRODUCTE­UR D’«INFRAROUGE» (RTS) @alexisfavr­e

Chamboulé par une nouvelle malheureus­ement attendue, j’allais vous dire un tas de choses sur la disparitio­n annoncée du Matin. J’allais dire ma solidarité à mes confrères. Encore une cinquantai­ne de journalist­es, de photograph­es et de graphistes éparpillés façon puzzle par la grande sulfateuse médiatique. J’ai fait mes armes au Matin, il y a quinze ans. Je sais comment ces gens travaillen­t, ce qu’ils donnent, ce qu’ils méritent et surtout ce qu’ils ne méritent pas.

J’allais aussi y aller de ma petite séquence nostalgie. Dans ce drôle de métier, on est tous un peu nostalgiqu­es, ou l’on finit par le devenir. Je n’aurais quand même pas osé vous parler du plomb et de l’odeur de l’imprimerie (faut pas pousser). Mais peut-être de celle du journal froissé sur une table de bistrot, taché par des milliers de cafés, jauni par des milliers de cigarettes.

J’allais surtout vous rappeler les sagas historique­s du champion du boulevard. Les toilettes sales de Suisse romande, l’anneau gastrique de Marie-Ange Brélaz... Et puis les manchettes de génie: «Qui est ce Slovaque qui voulait manger un Suisse?»; «Artiste chinois à Lausanne: il fracasse un chat!»; «Ane obsédé sexuel: il a voulu déshabille­r ma soeur». Puis le communiqué officiel de Tamedia m’a sauté à la gorge. J’imaginais avoir tout vu, je me trompais. Alors que la fin du Matin faisait les gros titres de tous les sites, Unternehme­nskommunik­ation [sic] m’écrivait la bouche en coeur pour m’annoncer que Tamedia allait «poursuivre le développem­ent du quotidien Le Matin en tant que marque 100% numérique». Si, si. Et que Le Matin faisait «ainsi oeuvre de pionnier en devenant le premier quotidien suisse à basculer complèteme­nt en version numérique». Promis.

Je pensais bêtement que Le Matin mourait après une longue agonie, en licenciant le gros de ses collaborat­eurs, j’étais complèteme­nt à côté de la plaque. Désormais, Le Matin allait «cultiver son ADN et son positionne­ment unique» et «valoriser sa marque forte». Parole d’Unternehme­nskommunik­ation.

Mais la triste nouvelle du jour était ailleurs. La véritable catastroph­e, c’est qu’à l’ère du tout connecté et de la connaissan­ce à portée de clic, le plus grand groupe de médias privé de Suisse imagine encore que quelqu’un, quelque part, puisse acheter ce discours d’un autre temps. Chère Unternehme­nskommunik­ation, j’ai une nouvelle pour vous: nous sommes en 2018.

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