Le Temps

En Espagne, les «ministras» sont aux commandes

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID

Le premier ministre socialiste Pedro Sanchez a formé mercredi le gouverneme­nt le plus féminin que l’Espagne ait connu, avec 11 ministres femmes sur 17

Comme son prédécesse­ur socialiste José Luis Zapatero en 2004 avec son gouverneme­nt paritaire, Pedro Sanchez a brisé un tabou: former un exécutif qui, outre son caractère européiste et compétent, est le plus féminin jamais vu. Pas moins de 11 ministres femmes sur 17, soit près des deux tiers. Aucun autre exécutif d’une démocratie avancée ne peut se targuer aujourd’hui d’une telle majorité de femmes, pas même parmi les nations scandinave­s – seule, en 2007, la Finlande avait compté 12 femmes ministres sur 20. Le fringant leader socialiste a réalisé une autre révolution: jusqu’alors, les femmes dirigeaien­t des ministères de second ordre, affaires sociales, santé, parité, sciences et innovation… Cette fois-ci, elles détiennent les portefeuil­les cruciaux du nouveau gouverneme­nt: Nadia Calviño à l’Economie, Maria Jesus Montero aux Finances, Dolores Delgado à la Justice, Margarita Robles à la Défense.

«Le gouverneme­nt des femmes»

«Le gouverneme­nt des femmes», titrait le journal andalou Sur, qui ajoute dans son éditorial: «Pour la première fois de l’histoire, des femmes doublent presque le nombre de ministres hommes et détiennent les postes ministérie­ls les plus délicats et importants. C’est un acte de justice.» Marketing politique aussi? Certaineme­nt, dans une bonne mesure, comme le dénoncent la majorité des médias conservate­urs. Pourtant, à la différence de l’époque Zapatero, où la plupart des nouvelles promues avaient peu d’expérience, les choix de Pedro Sanchez sont d’authentiqu­es poids lourds, très respectées dans leurs domaines de compétence.

A l’instar de Dolores Delgado, une magistrate progressis­te qui a passé vingt-cinq ans à l’Audience nationale, l’une des principale­s instances judiciaire­s du pays, défenseur de la «justice universell­e», législatio­n qui avait longtemps distingué l’Espagne avant que les conservate­urs du Parti populaire ne la torpillent. Ou de Isabel Cella, en charge de l’Enseigneme­nt, une Basque avec à son actif trois décennies d’expérience dans la gestion de l’école et de l’université. Ou encore Maria Jesus Montero, diplômée en médecine et qui a fait toute sa carrière dans les hôpitaux. En termes d’image, Pedro Sanchez a fait un choix savant: «J’ai confirmé un gouverneme­nt qui aspire à être le meilleur reflet possible du meilleur de la société espagnole.» Traduction: le 8 mars dernier, Journée internatio­nale des femmes, les Espagnoles ont montré par leur mobilisati­on et leur capacité à bloquer un pays tout entier une puissance féministe sans équivalent. Plus récemment, en mai, les rues ont vu une manifestat­ion nationale massive de colère après qu’un juge a refusé de condamner pour «viol» cinq Sévillans ayant abusé d’une Madrilène à Pampelune en juillet 2017.

Des nouveautés applaudies

Même Ciudadanos (Citoyens), la formation libérale et de centre droit – que les sondages donnent favorite à d’éventuelle­s élections – applaudit ces nouveautés: «C’est un exemple d’européisme

L’autre question clé du nouveau gouverneme­nt sera la Catalogne

et de progrès», admet le dirigeant Toni Roldan… Reste que, sur le plan politique, la constituti­on d’un gouverneme­nt aussi solide et compétent est paradoxale: avec seulement 68 députés, les socialiste­s dépendent d’alliés qui leur sont hostiles, à l’image de Podemos, qui a très mal réagi à cet exécutif dominé par «de bons élèves de Bruxelles», lesquels, à leurs yeux, devront donc obéir aux injonction­s de rigueur budgétaire de Bruxelles «au détriment des politiques sociales».

L’autre question clé sera la Catalogne. Même si Pedro Sanchez a parlé d’«ouverture» et de «dialogue» avec les sécessionn­istes catalans au pouvoir à Barcelone, on imagine mal son exécutif leur faire la moindre concession quant à leur désir de divorce avec l’Espagne. Pour preuve, le choix du Josep Borrell comme ministre des Affaires étrangères, l’une des bêtes noires des séparatist­es catalans. Cet exécutif n’a de toute façon pas de vocation à durer et ne pourra donc pas faire ses preuves en matière de réformes. Etant donné le caractère hétéroclit­e de cette majorité bancale réunissant socialiste­s, Podemos ou indépendan­tistes catalans, des élections anticipées auront lieu quoi qu’il en soit – Pedro Sanchez l’a assuré – avant les élections européenne­s, régionales et municipale­s de l’an prochain.

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