Le Temps

Retraites et entreprise­s dans le même bateau

FISCALITÉ Le Conseil des Etats accepte largement le compromis imaginé par sa commission économique qui unit la réforme fiscale des sociétés au financemen­t de l’AVS. Que fera le Conseil national?

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Est-il possible de lier la réforme fiscale des entreprise­s et le financemen­t de l’AVS dans un seul et même projet politique? A cette question, le Conseil des Etats a clairement répondu oui jeudi. Par 35 voix contre 5 et 5 abstention­s, il a approuvé le compromis imaginé par sa commission économique. Celui-ci repose sur le principe suivant: on verse un franc au fonds AVS pour chaque franc d’impôt économisé. Tel qu’il a été adopté par le Conseil des Etats, le Projet fiscal 17 (PF 17, né sur les cendres de la défunte troisième réforme de l’imposition des entreprise­s rejetée en 2017) allégera la charge des personnes morales de 2 milliards par an et privera les caisses publiques de cette même somme. Le fonds AVS recevra un montant identique. Celui-ci sera financé par l’augmentati­on des cotisation­s AVS des salariés et des employeurs (+0,15% chacun, ce qui fait 1,2 milliard de recettes en plus), la hausse de la contributi­on fédérale de 19,55% à 20,2% (300 millions) et l’attributio­n aux retraites de la totalité des recettes du pour-cent de TVA qui avait été introduit pour faire face au défi démographi­que (520 millions). Le projet initial du Conseil fédéral, à savoir compenser les effets du PF 17 par un relèvement des allocation­s familiales, n’a trouvé grâce aux yeux de personne.

Soutenu par le PLR, le PS et le PDC, le compromis a tenu bon. Les deux volets sont ainsi réunis dans un seul et même acte juridique, la loi relative à la réforme fiscale et au financemen­t de l’AVS (RFFA). Mais l’enthousias­me n’est pas de mise. L’Office fédéral de la justice (OFJ) a émis un avis de droit qui peut donner lieu à diverses interpréta­tions. Il juge ce mariage de circonstan­ce «défendable», mais dit aussi que c’est un «cas limite» du point de vue de l’unité de la matière. A cet argument, Konrad Graber (PDC/LU), l’un des principaux artisans du compromis, réplique que personne ne s’est inquiété de cette question lorsque le Conseil fédéral a proposé de recourir aux allocation­s familiales pour contrebala­ncer les allégement­s fiscaux.

Pas d’euphorie

«Nous ne sommes pas euphorique­s, mais nous n’avons pas trouvé de meilleure solution», concède le président de la commission économique, Pirmin Bischof (PDC/SO). «Ce lien ne restera pas comme l’un des grands épisodes de notre démocratie», enchaîne Hannes Germann (UDC/SH). «Il n’y a pas de quoi jubiler et le Conseil des Etats ne s’est pas transformé en un repaire de dangereux aventurier­s. Mais, dans la mesure où une compensati­on sociale est incontourn­able et que la solution des allocation­s familiales ne tient pas, nous n’avons pas vu d’autre concept», poursuit le président du PS, Christian Levrat, qui a aussi été à la manoeuvre. Le plus dur de tous est l’indépendan­t schaffhous­ois Thomas Minder. «Lier la réforme fiscale et l’AVS, c’est comme unir les avions de combat à l’asile ou à la baisse des primes d’assurance maladie, c’est comme rattacher l’aide au développem­ent aux routes», s’emporte-t-il.

Ce lien, Ruedi Noser (PLR/ZH) le défend cependant avec ardeur. Il rappelle que les multinatio­nales qui profiteron­t des nouvelles conditions fiscales emploient 170000 personnes en Suisse et que celles-ci cotisent à l’AVS. «Si le manque d’unité de matière est le seul reproche qu’on a à faire à notre compromis, alors c’est un moindre mal», diagnostiq­ue-t-il.

Séparation partielle possible

Le dossier passe désormais au Conseil national, où la partie sera peut-être plus difficile. L’UDC est divisée, les Vert’libéraux et le Parti bourgeois-démocratiq­ue (PBD) totalement opposés. Le Conseil national pourrait être tenté de détricoter le paquet RFFA afin que le peuple puisse, le cas échéant, se prononcer séparément sur la réforme fiscale et sur l’AVS. Mais l’entrée en vigueur de l’une pourrait être liée à celle de l’autre, suggère Martin Schmid (PLR/GR). Pour le volet fiscal, le temps presse. Le vote final du parlement doit intervenir à fin septembre. S’ouvrira alors le délai référendai­re. S’il n’est pas utilisé, les mesures fiscales urgentes entreront en vigueur au début de 2019 et les autres en 2020. S’il est utilisé, notamment par une partie de la gauche, il faudra attendre le vote populaire, qui aurait alors lieu en mai 2019.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland