Retraites et entreprises dans le même bateau
FISCALITÉ Le Conseil des Etats accepte largement le compromis imaginé par sa commission économique qui unit la réforme fiscale des sociétés au financement de l’AVS. Que fera le Conseil national?
Est-il possible de lier la réforme fiscale des entreprises et le financement de l’AVS dans un seul et même projet politique? A cette question, le Conseil des Etats a clairement répondu oui jeudi. Par 35 voix contre 5 et 5 abstentions, il a approuvé le compromis imaginé par sa commission économique. Celui-ci repose sur le principe suivant: on verse un franc au fonds AVS pour chaque franc d’impôt économisé. Tel qu’il a été adopté par le Conseil des Etats, le Projet fiscal 17 (PF 17, né sur les cendres de la défunte troisième réforme de l’imposition des entreprises rejetée en 2017) allégera la charge des personnes morales de 2 milliards par an et privera les caisses publiques de cette même somme. Le fonds AVS recevra un montant identique. Celui-ci sera financé par l’augmentation des cotisations AVS des salariés et des employeurs (+0,15% chacun, ce qui fait 1,2 milliard de recettes en plus), la hausse de la contribution fédérale de 19,55% à 20,2% (300 millions) et l’attribution aux retraites de la totalité des recettes du pour-cent de TVA qui avait été introduit pour faire face au défi démographique (520 millions). Le projet initial du Conseil fédéral, à savoir compenser les effets du PF 17 par un relèvement des allocations familiales, n’a trouvé grâce aux yeux de personne.
Soutenu par le PLR, le PS et le PDC, le compromis a tenu bon. Les deux volets sont ainsi réunis dans un seul et même acte juridique, la loi relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA). Mais l’enthousiasme n’est pas de mise. L’Office fédéral de la justice (OFJ) a émis un avis de droit qui peut donner lieu à diverses interprétations. Il juge ce mariage de circonstance «défendable», mais dit aussi que c’est un «cas limite» du point de vue de l’unité de la matière. A cet argument, Konrad Graber (PDC/LU), l’un des principaux artisans du compromis, réplique que personne ne s’est inquiété de cette question lorsque le Conseil fédéral a proposé de recourir aux allocations familiales pour contrebalancer les allégements fiscaux.
Pas d’euphorie
«Nous ne sommes pas euphoriques, mais nous n’avons pas trouvé de meilleure solution», concède le président de la commission économique, Pirmin Bischof (PDC/SO). «Ce lien ne restera pas comme l’un des grands épisodes de notre démocratie», enchaîne Hannes Germann (UDC/SH). «Il n’y a pas de quoi jubiler et le Conseil des Etats ne s’est pas transformé en un repaire de dangereux aventuriers. Mais, dans la mesure où une compensation sociale est incontournable et que la solution des allocations familiales ne tient pas, nous n’avons pas vu d’autre concept», poursuit le président du PS, Christian Levrat, qui a aussi été à la manoeuvre. Le plus dur de tous est l’indépendant schaffhousois Thomas Minder. «Lier la réforme fiscale et l’AVS, c’est comme unir les avions de combat à l’asile ou à la baisse des primes d’assurance maladie, c’est comme rattacher l’aide au développement aux routes», s’emporte-t-il.
Ce lien, Ruedi Noser (PLR/ZH) le défend cependant avec ardeur. Il rappelle que les multinationales qui profiteront des nouvelles conditions fiscales emploient 170000 personnes en Suisse et que celles-ci cotisent à l’AVS. «Si le manque d’unité de matière est le seul reproche qu’on a à faire à notre compromis, alors c’est un moindre mal», diagnostique-t-il.
Séparation partielle possible
Le dossier passe désormais au Conseil national, où la partie sera peut-être plus difficile. L’UDC est divisée, les Vert’libéraux et le Parti bourgeois-démocratique (PBD) totalement opposés. Le Conseil national pourrait être tenté de détricoter le paquet RFFA afin que le peuple puisse, le cas échéant, se prononcer séparément sur la réforme fiscale et sur l’AVS. Mais l’entrée en vigueur de l’une pourrait être liée à celle de l’autre, suggère Martin Schmid (PLR/GR). Pour le volet fiscal, le temps presse. Le vote final du parlement doit intervenir à fin septembre. S’ouvrira alors le délai référendaire. S’il n’est pas utilisé, les mesures fiscales urgentes entreront en vigueur au début de 2019 et les autres en 2020. S’il est utilisé, notamment par une partie de la gauche, il faudra attendre le vote populaire, qui aurait alors lieu en mai 2019.
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