Le Temps

«Donald Trump joue à l’équilibris­te»

COMMERCE Le président américain peut-il diriger la première puissance mondiale comme il gérait ses affaires? Thomas Costerg, économiste spécialist­e des Etats-Unis chez Pictet Wealth Management, décortique la méthode et le style du dirigeant populiste

- PROPOS RECUEILLIS PAR RAM ETWAREEA @ram52

Thomas Costerg, économiste spécialist­e des Etats-Unis chez Pictet Wealth Management, explique comment le président américain Donald Trump s’inspire du livre The Art of the Deal qu’il a écrit en 1987, tant pour satisfaire son électorat que pour gérer les relations internatio­nales.

Quelle sera vraisembla­blement l’attitude du président Donald Trump à l’égard de ses six homologues qu’il rencontrer­a ces vendredi et samedi au sommet du G7? Et réciproque­ment? L’introducti­on début juin de tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium, qui touchent particuliè­rement les voisins canadien et mexicain ainsi que l’Union européenne, a été vécue comme une quasi-trahison par ces pays qui se considèren­t comme des alliés historique­s des Etats-Unis. L’affaire n’est toujours pas digérée; le G7 va donc certaineme­nt s’ouvrir dans une certaine tension. Le risque le plus important est que la réunion tourne au dialogue de sourds, voire que le président Trump fasse dans la surenchère étant donné que ces pays ont déjà menacé de ripostes avec leurs propres tarifs. Concernant le format du G7, il n’est pas sûr qu’il convienne à Trump. En effet, celui-ci préfère plutôt les discussion­s bilatérale­s.

Donald Trump n’est-il pas simplement en train de respecter sa promesse d’«America First» qui lui a valu son élection? Le président Trump a surtout réussi à former une alliance improbable entre conservate­urs américains classiques et populistes anti-commerce qui se disent inquiets face à la mondialisa­tion.

Quel est le problème? C’est une alliance instable parce que le «trumpisme» n’est pas cohérent. Il va donc présider sous tension permanente et jouer à l’équilibris­te. Parce que les intérêts de l’establishm­ent conservate­ur à Washington ne sont pas les mêmes que ceux de son électorat, qui est divers. La confusion éclate au grand jour lorsque l’Amérique profonde, qui n’aime pas la mondialisa­tion, découvre qu’elle doit quand même vendre son soja et autres produits agricoles à la Chine. Les cercles de Wall Street n’aiment pas le yoyo boursier lié aux incertitud­es créées par les tensions commercial­es internatio­nales. Avec les surtaxes sur l’acier et l’aluminium, il a déplu au secteur manufactur­ier. Enfin, les producteur­s de pétrole de schiste, qui sont devenus une force exportatri­ce, notamment vers l’Asie, rejettent aussi la politique protection­niste de Trump.

Quelles sont les forces en présence au sein de l’administra­tion Trump? Sa politique commercial­e attire toutes les attentions. On sait que deux écoles s’affrontent au sein de l’administra­tion Trump. La première est menée par Steven Mnuchin, le secrétaire d’Etat au Trésor, qui est plutôt conciliant et tourné vers la recherche de compromis. A l’opposé, l’autre incarnée par Wilbur Ross, secrétaire d’Etat au Commerce, veut en découdre avec tout le monde. Il est inquiétant de constater que ce dernier ne veut pas s’engager à trouver des compromis.

Comment le président gère-t-il cette situation? Donald Trump se base sur une logique double. En premier, il reprendra la méthode utilisée dans les années 80 par le président Ronald Reagan, qui avait conclu un marché avec le Japon pour limiter les exportatio­ns d’automobile­s, entre autres. Il se reposera aussi beaucoup sur son livre de référence, écrit dans les années 80: The Art of the Deal. C’est l’art de pousser ses interlocut­eurs dans leurs derniers retranchem­ents avant de faire des concession­s. Donald Trump a beaucoup utilisé cette technique lorsqu’il dirigeait son empire immobilier. Mais celle-ci ne peut pas être aussi facilement reproduite dans la gestion d’un Etat où la chaîne de commandeme­nt n’est pas la même que dans une entreprise. Et encore moins dans les relations internatio­nales.

A quoi faut-il s’attendre, selon vous? Le premier scénario est que le président Trump restera dans la rhétorique et que les tensions resteront importante­s. Mais sans qu’il y ait de vraie guerre commercial­e, parce que les intérêts de différents lobbys aux Etats-Unis seront affectés. Le deuxième scénario dépendra des résultats des élections à mi-mandat du Congrès. Si les républicai­ns perdent la majorité, ce sera la paralysie à laquelle les Américains ont été habitués, notamment sous l’ère Obama.

Mais en fin de compte, l’économie américaine se porte bien. N’est-ce pas cela l’essentiel? C’est vrai. La croissance est au rendez-vous et l’un des indicateur­s phares, le chômage, a baissé à seulement 3,8% en mai. La longévité de la croissance est impression­nante. Les baisses d’impôt ont participé à l’embellie. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Il reste à voir maintenant les résultats des graines de l’incertitud­e semées par le président Trump, notamment sur le plan du commerce internatio­nal. Attendons donc 2019.

«Le risque le plus important est que le G7 tourne au dialogue de sourds, voire que le président Trump fasse dans la surenchère»

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(SUSAN WALSH/AP) «Concernant le format du G7, il n’est pas sûr qu’il convienne à Trump. En effet, celui-ci préfère plutôt les discussion­s bilatérale­s», explique Thomas Costerg, économiste spécialist­e des Etats-Unis chez Pictet Wealth Management.
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DES ÉTATS-UNIS CHEZ PICTET WEALTH MANAGEMENT
THOMAS COSTERG ÉCONOMISTE SPÉCIALIST­E DES ÉTATS-UNIS CHEZ PICTET WEALTH MANAGEMENT

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