Le Temps

A Moutier, l’enlisement

- YAN PAUCHARD @yanpauchar­d

Une marée de drapeaux rouge et blanc sous un soleil radieux, la liesse populaire, la Rauracienn­e chantée à tue-tête et les larmes de François Lachat. Ce 18 juin 2017, Moutier chavire. La cité prévôtoise, berceau du combat autonomist­e, devient enfin jurassienn­e. L’histoire est belle. Elle raconte l’obstinatio­n et le désir de liberté d’un peuple gouailleur et frondeur. La Suisse romande tout entière se passionne pour cette petite ville industriel­le de 7500 âmes qui défie le «Grosskanto­n». Elle nous offre à peu de frais une jouissive revanche, à nous les Welches minoritair­es, contre ces Alémanique­s forcément arrogants. L’ours bernois était à terre. Et on applaudit.

Mais, si la Suisse est devenue depuis longtemps un pays de pendulaire­s, habitant ici, travaillan­t là-bas, les cantons demeurent le creuset de l’identité. Modifier leur frontière ne consiste pas seulement à changer de circonscri­ption administra­tive et politique, c’est toucher au coeur, aux tripes, aux origines mêmes des gens. Et dans cette histoire, on a un peu vite oublié qu’une moitié de la population (48,3%) avait glissé un non dans l’urne. Des Jurassiens aussi, francophon­es également, mais fiers d’être Bernois. Pour eux, Moutier n’était pas libérée, elle allait être annexée.

Le désarroi des «fils du Mitteland», protestant­s, un brin taiseux et bien moins hauts en couleur que leurs voisins catholique­s, n’a ému personne. Grisés par leur victoire, obnubilés par la volonté d’aller vite dans les processus, les séparatist­es ne leur ont pas tendu la main. Vae victis, malheur aux vaincus. Amers, les pro-bernois ont, depuis, multiplié les recours et les accusation­s, paralysant le transfert et exacerbant les tensions. La ville est aujourd’hui coupée en deux et l’enthousias­me de l’année passée s’est délité dans un marécage poisseux de suspicion généralisé­e et de rancoeur.

Victoire de la démocratie, le vote positif de Moutier devait clore définitive­ment la Question jurassienn­e. Il devait enfin permettre au jeune canton du Jura de s’affranchir de l’héritage – magnifique mais aussi parfois encombrant — du combat autonomist­e. Mais la mise en oeuvre du scrutin est devenue un chemin de croix pour les autorités tant communales que cantonales. Il est urgent de pacifier les fronts, seul moyen d’éviter un enlisement complet du dossier, qui finirait immanquabl­ement par raviver d’anciennes haines qu’on croyait appartenir au passé.

Si la Suisse est devenue depuis longtemps un pays de pendulaire­s, les cantons demeurent le creuset de l’identité

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