Le Temps

Le Conseil fédéral hausse le ton contre Bruxelles

L’UE tardant à accorder à la Suisse l’équivalenc­e boursière illimitée qu’elle-même demande, Berne pourrait en faire autant avec les négociants européens, menace Ueli Maurer

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

La mesure est technique, assure le chef du Départemen­t fédéral des finances (DFF), Ueli Maurer. Puisque l’Union européenne tarde à accorder à la Suisse l’équivalenc­e boursière illimitée que celle-ci réclame, la Suisse va agir de même avec les négociants européens. Elle est prête à recourir au droit d’urgence prévu par la Constituti­on pour soumettre les bourses européenne­s à une procédure d’autorisati­on si elles veulent continuer de négocier des titres suisses. «C’est notre plan B, c’est un plan défensif visant à protéger l’infrastruc­ture boursière suisse et c’est une mesure technique», a-t-il commenté vendredi.

En début d’année est entrée en vigueur une nouvelle directive européenne sur les instrument­s financiers (MiFID II) ainsi qu’un règlement (MiFIR). Dans ce cadre, il avait été prévu que la Commission européenne accorde une reconnaiss­ance illimitée à la bourse suisse (SIX), ce qui assurait à celle-ci l’égalité de traitement avec ses concurrent­es européenne­s, en particulie­r Londres, Paris et Francfort. Lors de sa visite à Berne en novembre 2017, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, n’avait pas laissé entrevoir le moindre problème à ce sujet. Juste avant Noël, patatras: la Commission annonçait qu’elle ne reconnaiss­ait cette équivalenc­e boursière que pour une année. Elle avait pourtant accordé une équivalenc­e illimitée aux Etats-Unis, à Hongkong et à l’Australie.

Par voie d’urgence

La décision était, déjà, présentée comme technique. Mais personne n’était dupe: pour Bruxelles, c’était un moyen de pression pour faire avancer la conclusion d’un accord-cadre institutio­nnel entre la Suisse et l’UE. Pris de court, le Conseil fédéral réagissait en menaçant d’établir un lien avec la reconducti­on de la contributi­on de la Suisse au fonds de cohésion européen, 1,3 milliard à répartir sur dix ans. Il annonçait aussi qu’il allait contrebala­ncer cette restrictio­n en relançant l’abolition du droit de timbre.

Début janvier, la bourse suisse et les investisse­urs faisaient savoir au DFF et au Départemen­t fédéral des affaires étrangères (DFAE) qu’ils voulaient que la situation soit clarifiée avant l’été. Pour leur planificat­ion, ils voulaient connaître assez tôt le sort qui leur serait réservé à partir de janvier 2019. L’enjeu porte sur 70 à 80% du volume traité à la bourse suisse. Or, comme la négociatio­n d’un accord institutio­nnel piétine toujours, les deux parties aborderont l’été sans avoir trouvé de terrain d’entente. L’UE a déjà fait savoir qu’elle ne réévaluera pas la reconnaiss­ance boursière avant l’automne.

Le Conseil fédéral a par conséquent décidé vendredi de préparer son plan B. Et de le communique­r. Il se dit prêt à édicter une ordonnance reposant sur le droit d’urgence. Faute de décision définitive de l’UE avant cette date, cette ordonnance entrerait en vigueur au plus tard le 1er décembre et infligerai­t le même traitement aux banques et négociants étrangers. Ils devraient demander une autorisati­on à la Finma pour négocier les actions suisses. Les plateforme­s européenne­s ne l’obtiendrai­ent pas.

Une balle dans le pied?

Le gouverneme­nt menace ainsi d’appliquer la loi du talion et se défend d’avoir pris une décision politique. «Nous ne voulons pas lier cette question aux autres thèmes en suspens», assure Ueli Maurer, qui précise que le Conseil fédéral rediscuter­a de la révision du droit de timbre en fin d’année. Mais le simple fait de rendre cette possibilit­é publique est interprété comme message politique adressé à l’UE. Il faudra encore voir si la manoeuvre se révèle efficace. A Bruxelles, une porte-parole a déclaré que la Commission avait pris acte de la décision suisse et que celle-ci espérait toujours conclure un accord institutio­nnel.

Si ce scénario devait se concrétise­r, «les participan­ts aux marchés boursiers devraient décider s’ils négocient les actions suisses selon le droit suisse ou selon le droit européen», précise le secrétaire d’Etat aux questions financière­s, Jörg Gasser. Ueli Maurer est persuadé que beaucoup opteraient pour le marché helvétique. Il précise que ce plan B a pour but d’éviter que les titres négociés à la bourse suisse ainsi que SIX elle-même ne soient obligés de quitter le pays. Le PLR ne partage pas cet avis: il craint que ce scénario ne pousse les sociétés cotées hors du pays à s’exiler et que, avec ce plan B, le Conseil fédéral ne «se tire une balle dans le pied». ▅

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(ANTHONY ANEX/KEYSTONE) Ueli Maurer a présenté son plan pour défendre l’infrastruc­ture boursière suisse.

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