Le Temps

Le Canada inaugure le G7 -1

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

«Frappe tes alliés et capitule devant tes ennemis.» Telle pourrait être la devise commercial­e de Donald Trump. Le meilleur «dealmaker» de l’histoire du monde, comme il se décrit lui-même, soigne les alliés traditionn­els des Etats-Unis: taxes sur l’acier et l’aluminium européens au nom de la «sécurité nationale»; menaces de sanctions envers les entreprise­s européenne­s actives en Iran; attaque contre l’accord de libre-échange avec le Mexique et le Canada; pressions sur la Corée du Sud et le Japon, etc. Au nom de «l’Amérique d’abord», Donald Trump se montre intransige­ant envers les tenants d’un ordre libéral et ouvert.

A l’inverse, Donald Trump promettait de faire rendre gorge aux industries chinoises qui contribuen­t à creuser un déficit commercial abyssal avec les Etats-Unis. Résultat? Jeudi, le président signait un deal avec Pékin pour sauver ZTE, géant chinois des télécommun­ications menacé par des sanctions américaine­s pour avoir violé un embargo sur l’Iran et la Corée du Nord voté par le Congrès. Vous vous souvenez de l’amende infligée à BNP Paribas pour les mêmes raisons, en 2014: 9 milliards de dollars. Pour ZTE, Trump s’est arrangé avec la Chine pour un montant de 1 milliard. Est-ce le financemen­t chinois d’un projet immobilier en Indonésie auquel la famille Trump est associée qui a fait la différence? Ou alors l’accès facilité au marché chinois pour les produits d’Ivanka Trump, la fille du président? Les vagues promesses de Pékin de rééquilibr­er les échanges n’apportent en tout cas rien de nouveau au bras de fer sino-américain.

«Punis les démocrates et flatte les autocrates.» Ce pourrait être la devise politique de Donald Trump. Pour passer un deal, il faut pouvoir traiter entre hommes, sans entraves inutiles: l’UE, l’ONU, l’OMC, tout accord multilatér­al, toute procédure démocratiq­ue sont autant d’entraves à la bonne marche du deal, qui se négocie en bilatéral, au bluff. A l’inverse, avec un autocrate, le président se sent en ligne directe, comme entre partenaire­s de poker, capables de prendre des décisions rapides, d’établir une connexion émotionnel­le, libre de casser les codes. Il est donc logique que Donald Trump ait proposé que la Russie réintègre le G7 – dont elle a été suspendue après l’annexion de la Crimée – alors qu’il s’envolait pour le Canada prendre part au sommet du groupe.

Le G7: voilà des années que se

S’il était logique d’exclure la Russie du G8, il serait tout aussi normal d’écarter les Etats-Unis du G7

pose la question de l’utilité d’un tel rendez-vous instauré en 1975 par la France et qui regroupait alors les plus grandes économies du monde afin d’harmoniser leur politique financière. Aujourd’hui, le G20 est bien plus représenta­tif et légitime. Restait la justificat­ion d’un club réunissant les grandes économies arrimées au multilatér­alisme, aux valeurs démocratiq­ues et au libreéchan­ge. Selon ce critère, il était logique d’exclure la Russie. Il serait tout aussi normal à présent que les Etats-Unis en soient écartés.

A la veille de ce sommet, on a beaucoup parlé d’un G6 faisant front à Donald Trump. Il faudrait plutôt parler d’un G7 moins un, les Etats-Unis se mettant d’euxmêmes hors jeu. Mais peut-on parler de front? Le Japon d’Abe reste prudemment dans l’ombre de son protecteur américain en Asie. Les Européens avancent en pagaille: l’Italie de Giuseppe Conte semble plus proche de Washington que de Berlin ou Paris alors que le Royaume-Uni est paralysé par les affres du Brexit. Quant à l’Allemagne, elle joue le jeu de la résistance a minima, craignant la salve suivante: une taxation de son industrie automobile, ce qui serait une déclaratio­n de guerre commercial­e en bonne et due forme. Restent la France et le Canada, soutenus par l’UE. Assez pour tenir?

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