Quelle place pour l’islam?
L’islam est-il soluble dans la démocratie et les valeurs de liberté et d’égalité? C’est la question qui agite les médias et l’opinion alémaniques depuis que le président du PS, Christian Levrat, a lancé l’idée d’une reconnaissance de l’islam par l’Etat, comme pour les Eglises chrétiennes. Le PS organise même une journée d’information et de réflexion sur le rôle et la place de l’islam en Suisse, samedi prochain, à la Maison des religions à Berne. Il propose que dans tous les cantons où il existe une reconnaissance officielle des Eglises chrétiennes dans la Constitution, cette possibilité soit étendue à toutes les religions. En contrepartie, les socialistes posent des conditions: structure démocratique de la communauté qui demande une reconnaissance, égalité entre hommes et femmes, liberté de conscience, etc. Avec 400000 musulmans sur le territoire suisse, dont 160000 de nationalité suisse, «l’islam appartient à notre pays», estime Christian Levrat.
Autant dire que cette proposition a soulevé une vague de réactions hostiles allant parfois jusqu’aux déclarations haineuses. Même les esprits généralement les plus modérés s’insurgent. Dans le SonntagsBlick, le chroniqueur Frank A. Meyer estime que demander aux musulmans croyants d’intégrer nos valeurs, comme de renoncer à la discrimination entre hommes et femmes, est de l’ordre de l’impossible. «Le monde de valeurs de l’Occident est inacceptable pour la croyance islamique, écrit-il. Quiconque demande aux musulmans d’embrasser ces valeurs les pousse à l’hérésie – à l’apostasie.»
Malgré tout, le PS entend travailler à l’intégration des musulmans dans la société suisse et lutter contre deux phénomènes inquiétants: le fondamentalisme religieux, berceau de la radicalisation islamiste, et l’islamophobie qui nourrit le populisme de droite. Une double évolution sur laquelle se penche précisément la dernière analyse du Center for Security Studies (CSS) de l’EPFZ. «Des études montrent comment des organisations comme l’«Etat islamique» se servent des médias pour diviser la société selon des critères religieux et tirer parti de la discrimination perçue pour favoriser la radicalisation», notent les auteurs de l’étude. Or le climat créé par les attentats aurait abaissé le seuil d’inhibition de certaines personnes qui hésiteraient moins devant les remarques discriminatoires voire la violence. La Commission fédérale contre le racisme relève justement que désormais l’hostilité à l’égard des personnes musulmanes et d’origine arabe est en nette augmentation et devient le troisième motif de discrimination après la xénophobie en général et le racisme anti-Noirs. L’antisémitisme vient bien après.
Ce besoin de reconnaissance, qui favoriserait le dialogue entre la société suisse et les communautés musulmanes, est exprimé depuis des années par des musulmans dans certains cantons, comme Vaud. Même si l’adaptation matérielle, telle l’exigence d’imams parlant les langues nationales, et surtout théologique paraît difficile. Mais les responsables musulmans le savent, au risque de s’isoler dans des attitudes sectaires, ils n’échapperont pas à une mise en compatibilité de la doctrine musulmane avec le cadre des valeurs occidentales. Comme l’Eglise catholique dut le faire avec la démocratie au XIXe siècle. Pour cela il leur faut organiser leur propre hiérarchie religieuse. Et les Suisses, s’ils veulent poursuivre la cohabitation pacifique entre les religions, ont tout intérêt à les y aider.
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