Le Temps

Sport auto en Suisse, histoire d’un retour

L’ePrix de Zurich sera la première course de voitures sur circuit organisée en Suisse depuis 1954. De telles épreuves sont officielle­ment interdites, mais le caractère singulier du championna­t 100% électrique lui vaut de bénéficier d’une exception

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Des bolides électrique­s dans les rues de Zurich et pour les voir passer, la foule. Plus de 150000 spectateur­s sont attendus le long d’un parcours de 2,465 kilomètres et onze virages qui part du port d’Enge et serpente jusqu’aux environs de la Paradeplat­z. Cela fait des semaines que tous les tickets classiques (hors arrangemen­ts spéciaux) ont trouvé preneur selon le patron de la Formule E, Alejandro Agag. Ce succès annoncé ne tient pas qu’à l’engouement, croissant et bien réel, que suscite ce championna­t, mais aussi au caractère historique de l’épreuve qui se déroulera dimanche en fin d’après-midi. Le ePrix de Zurich sera la première course automobile sur circuit fermé organisée sur le territoire helvétique depuis soixante-quatre ans.

Jusqu’au milieu des années 1950, la Suisse n’est pourtant pas le dernier pays à se passionner pour l’automobili­sme. Plusieurs villes mettent sur pied leur course, plus ou moins régulièrem­ent et fréquemmen­t. Montreux s’essaie à l’exercice une fois en 1934. Le Grand Prix de Genève est organisé entre 1931 et 1950 sur le circuit des Nations. Le Grand Prix de Lausanne connaît deux éditions en 1947 et 1949 dans le quartier de la Blécherett­e. Un circuit voit le jour dans le Jura, sur le territoire des communes de Porrentruy et de Courtedoux, en 1947.

Combat politique

En parallèle prospère en terres bernoises le Grand Prix de Suisse dès 1934, pour un total de 14 éditions. Le 22 août 1954, Juan Manuel Fangio s’impose après plus de trois heures d’effort. En montant sur la plus haute marche du podium, l’Argentin, ni personne d’autre d’ailleurs, ne se doute qu’il vient de remporter la dernière course disputée sur le circuit de Bremgarten.

Le samedi 11 juin 1955, les 24 Heures du Mans sont endeuillée­s par un terrible accident qui entraînera la mort de 84 personnes. Il s’agit de la pire tragédie de l’histoire du sport automobile, et elle aura un écho jusque dans la législatio­n suisse. A l’article 52 de la loi fédérale sur la circulatio­n routière est gravée l’interdicti­on d’organiser des courses automobile­s sur circuit fermé.

Tout le monde ne voit pas cela d’un bon oeil. Pour vivre deux nouvelles éditions, le Grand Prix de Suisse s’exporte en 1975 et en 1982 à Prenois, près de Dijon (France). En parallèle, des politicien­s tentent régulièrem­ent de faire lever l’interdicti­on au nom de l’améliorati­on des conditions de sécurité et de la diminution des risques pour les participan­ts comme pour le public. Ulrich Giezendann­er (en 2004) et Walter Wobmann (en 2010) sont les derniers à embrasser la cause, mais les espoirs des deux parlementa­ires UDC finissent par être douchés.

Pour que les lignes finissent par bouger, il aura fallu attendre l’homme d’affaires espagnol Alejandro Agag, qui au début des années 2010 a une idée visionnair­e. Organiser un championna­t réservé à des bolides 100% électrique­s. Lui donner une identité ultramoder­ne, connectée, responsabl­e. L’implanter au coeur des villes pour ne pas se contenter d’attendre le public mais aller à sa rencontre. En 2014 débute la «Saison 1» de la Formule E.

La fille progressis­te

Son succès, assez immédiat, résulte bien sûr en partie de l’intérêt propre des courses mais aussi et surtout du sens que les promoteurs parviennen­t à leur donner. On court non seulement pour la beauté du sport mais davantage encore pour encourager la transition technologi­que vers des moteurs moins polluants. L’idée générale: ce que les écuries développer­ont pour rendre leurs bolides plus performant­s (vitesse, fiabilité, autonomie) pourra ensuite être récupéré par l’industrie et équiper des modèles destinés au grand public. Dans la grande famille du sport auto, la Formule E devient la fille progressis­te.

Grands constructe­urs sur les rangs

Les grands constructe­urs sont de plus en plus nombreux à la trouver très fréquentab­le. Renault et Audi succombent à son charme dès le départ. Mercedes, Porsche et BMW ont l’intention de rejoindre le championna­t à l’horizon 2019.

C’est aussi le caractère singulier de la Formule E qui a permis, en Suisse, de passer outre l’interdicti­on des courses automobile­s sur circuit fermé en obtenant une exception. La perspectiv­e d’accueillir un ePrix a fait son chemin dans les trois principale­s régions linguistiq­ues du pays. Lausanne a évalué des options à proximité de l’EPFL (intéressée par les aspects de recherche et développem­ent du projet) ou dans le quartier de la Blécherett­e, mais les autorités politiques locales ont mis leur veto. Lugano avait un peu plus avancé à la tâche mais les débats quant à la pertinence de bloquer le centre-ville pour une course automobile et la perspectiv­e d’une mauvaise publicité ont fini par décourager le sponsor principal.

Opération renouvelée?

A Zurich, la municipali­té roseverte a fini par donner son feu vert, sans accorder la moindre subvention et en insistant pour que l’événement serve à promouvoir l’e-mobilité. Cela ne suffit pas à lever toutes les opposition­s, toutes les réticences. Mais la course aura lieu.

Le tout premier ePrix disputé en Suisse sera la dixième des douze étapes de la «Saison 4» de la Formule E, avant l’épilogue du championna­t les 14 et 15 juillet prochain à New York. Et en attendant un nouveau passage en Suisse lors de la «Saison 5»? «Je l’espère, affirmait dernièreme­nt Alejandro Agag dans une interview à la Tribune de Genève. Mais, franchemen­t, je n’en sais rien. Ce sera certaineme­nt comme à Paris: on regarde comment cela se passe et après, on continue… ou pas.»

 ?? (ENNIO LEANZA/KEYSTONE) ?? Fin avril, le Vaudois Sébastien Buemi effectuait un tour de chauffe promotionn­el en plein coeur de Zurich. Il sera au départ de l’ePrix ce dimanche.
(ENNIO LEANZA/KEYSTONE) Fin avril, le Vaudois Sébastien Buemi effectuait un tour de chauffe promotionn­el en plein coeur de Zurich. Il sera au départ de l’ePrix ce dimanche.

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