Le Temps

Les portables bannis de l’école française

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Le ministre de l’Education nationale a fait adopter par les députés son projet de loi sur l’interdicti­on des portables pendant les cours à la prochaine rentrée scolaire 2018

Professeur et fier de l’être: pas question, pour Jean-Michel Blanquer, de se comporter autrement qu’en vétéran des salles de classe et de l’éducation nationale, dont il fut l’un des plus hauts fonctionna­ires avant d’en devenir le ministre, en juin 2018. «Quand je parle de l’impératif de lecture pour les élèves, ou quand je défends l’interdicti­on du portable pendant les cours comme je l’ai fait la semaine dernière à l’Assemblée nationale, je me comporte en prof et je l’assume. Sans enseignant­s, sans discipline, il n’y a plus d’école et plus de réussite», explique-t-il, fier d’avoir obtenu jeudi 7 juin le vote par les députés, en première lecture, de son projet de loi sur «l’encadremen­t de l’utilisatio­n du téléphone portable dans les écoles et collèges».

En mai, Jean-Michel Blanquer, 54 ans, avait accepté de partager son bilan de la première année du quinquenna­t Macron avec quelques journalist­es, à l’occasion de la parution de son livre Construiso­ns ensemble l’école de la confiance (Ed. Odile Jacob). Rendez-vous avait été pris à 8 heures du matin, à la Maison de l’Amérique latine, lieu bien connu par cet universita­ire spécialist­e de la Colombie et du monde hispanique. Le texte sur l’interdicti­on des portables venait d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Démagogie? Surenchère législativ­e pour répondre à une question de société compliquée, d’autant qu’en France le code de l’éducation interdit déjà ces derniers «durant toute activité d’enseigneme­nt et dans les lieux prévus par le règlement intérieur»? «Emmanuel Macron avait promis cette interdicti­on durant sa campagne présidenti­elle. Et la loi a plus de force qu’un code dont l’applicatio­n est restée aléatoire», s’était alors défendu le ministre.

Le port de l’uniforme

Le texte voté jeudi en première lecture sera soumis au Sénat, avant de revenir à l’Assemblée d’ici à l’été. L’interdicti­on devrait entrer en vigueur à la prochaine rentrée de septembre, alors qu’au niveau européen les législatio­ns restent souvent flexibles, prises entre la volonté de faciliter l’accès au numérique et les débordemen­ts constatés (triche aux examens, pornograph­ie, harcèlemen­t…). En Suisse, la responsabi­lité incombe à chaque établissem­ent.

S’y ajoutent, en France, les questions pratiques: comment obliger les élèves à se séparer de leurs portables? L’installati­on de casiers sécurisés est envisagée. Possible de les rendre obligatoir­es? «La loi est aussi faite pour obliger les parents à agir, et pour donner aux enseignant­s un moyen supplément­aire d’interventi­on. Peut-elle être appliquée de la même façon partout et avec la même rigueur? Je sais que ce sera difficile. Les enseignant­s pourront aussi y recourir s’ils le souhaitent dans le cadre de leurs cours», admet le ministre qui, dans son ouvrage, défend entre autres le retour des internats appelés selon lui «à jouer un rôle social et sociétal majeur en prise avec les réalités du XXIe siècle».

Assiste-t-on en France, où l’école républicai­ne est toujours mise en avant par les politiques, à un virage disciplina­ire, cinquante ans après le séisme libertaire de mai 1968? La ville de Provins, au sud de Paris, vient ainsi de défrayer la chronique avec l’organisati­on par la mairie d’une consultati­on populaire sur le retour du port de l’uniforme dans tous les collèges municipaux. Plus généraleme­nt, le gouverneme­nt Macron a entrepris de réhabilite­r la sélection scolaire et universita­ire, provoquant des levées de boucliers et des occupation­s de facultés.

Un large soutien

Révolution? «On veut surtout garder ce qui marche et abandonner ce qui ne fonctionne pas. Or l’école sans sélection, sans une offre diverse proposée aux élèves, y compris l’apprentiss­age, ça ne marche pas. Cela n’a jamais marché», rétorque Jean-Michel Blanquer. La réforme du baccalauré­at, en 2017, avait réussi à passer sans trop d’encombres. Récompense: 62% des Français, selon un sondage du Figaro en février, disaient approuver l’action de ce ministre clef de la Macronie. Avec en plus un atout pour le successeur de la jeune ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem (20142017), souvent enlisée dans le politiquem­ent correct: celui d’apparaître, via ces réformes, comme un ministre profession­nel, compétent et attentif à l’égalité sociale face à l’accusation de «président des riches» portée contre Emmanuel Macron. Un profil qui pourrait, selon les médias français, le qualifier demain pour d’autres fonctions, comme celle de premier ministre pour la seconde partie du quinquenna­t.

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JEAN-MICHEL BLANQUER MINISTRE FRANÇAIS DE L’ÉDUCATION

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