Le Temps

Géopolitiq­ue

Et d’un simple tweet, Donald Trump fit imploser le G7

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LUDOVIC HIRTZMANN, QUÉBEC

Le sommet du G7 à La Malbaie, petit village à deux heures de route de Québec, est passé dans l’histoire à la suite de deux tweets ravageurs du président des Etats-Unis. Contre toute attente, les chefs d’Etat présents avaient trouvé samedi un consensus pour signer une déclaratio­n commune. Donald Trump y avait donné dans un premier temps son accord. Mais, deux heures plus tard, l’homme le plus puissant de la planète a changé d’avis. A qui la faute? Au premier ministre canadien Justin Trudeau, selon le locataire de la Maison-Blanche. Des déclaratio­ns à répétition du chef du gouverneme­nt canadien sur la guerre commercial­e que mènent les EtatsUnis contre le Canada ont fait voir rouge à Donald Trump.

«Le premier ministre du Canada Justin Trudeau a agi de manière très douce et très faible pendant notre rencontre du G7, avant de dire en conférence de presse, après mon départ, que les tarifs douaniers des Etats-Unis étaient insultants […] et qu’il ne se laisserait pas bousculer. Très malhonnête», a écrit Donald Trump. Et d’ajouter dans un second tweet: «En raison des fausses déclaratio­ns de Justin lors de sa conférence de presse et du fait que le Canada facture d’énormes tarifs à nos agriculteu­rs, à nos travailleu­rs et aux entreprise­s des Etats-Unis, j’ai donné instructio­n aux représenta­nts américains de ne pas approuver le communiqué, alors que nous envisageon­s d’imposer des tarifs [douaniers] sur les automobile­s qui envahissen­t le marché américain», a martelé le successeur de Barack Obama. La volte-face du président est une première dans l’histoire du G7.

Quelques heures plus tôt, Justin Trudeau avait pourtant annoncé que le sommet de La Malbaie était un «succès». Le premier ministre canadien s’était ainsi félicité: «On a su rassurer ceux qui doutaient de notre capacité à travailler ensemble.» Dans une déclaratio­n commune, les chefs d’Etat présents ont paraphé une déclaratio­n en cinq points. Si elle ne prétend pas régler le problème de la guerre commercial­e entre les Etats-Unis et ses partenaire­s, la déclaratio­n de La Malbaie promet «d’investir dans la croissance qui profite à tout le monde», de «se préparer aux emplois de l’avenir», de «promouvoir l’égalité des sexes», de «construire un monde plus pacifique et plus sûr» et, enfin, de «travailler ensemble à l’égard des changement­s climatique­s».

Les signataire­s se sont aussi engagés à «moderniser l’OMC pour la rendre plus équitable dans les plus brefs délais. Nous nous efforçons de réduire les obstacles tarifaires, les obstacles non tarifaires et les subvention­s», souligne le communiqué final.

Le fiasco du G7, dû aux sautes d’humeur de Donald Trump, a surpris les participan­ts. Justin Trudeau n’a pas souhaité faire de déclaratio­n, laissant le soin à l’un de ses porte-parole de dire que le premier ministre n’avait fait que répéter ce qu’il disait depuis des semaines. L’Allemagne a réagi en disant s’en «tenir au communiqué commun adopté à l’issue du sommet», alors que l’Elysée a eu des mots plus durs: «Nous avons passé deux jours à avoir un texte et des engagement­s. Nous nous y tenons, et quiconque les quitterait le dos tourné montre son incohérenc­e et son inconsista­nce.»

Lors de son séjour éclair de vingtquatr­e heures à La Malbaie, Donald Trump a souhaité une réintégrat­ion de la Russie dans le groupe qui redeviendr­ait un G8. Ses homologues s’y sont opposés, tant que Moscou maintiendr­a son annexion de la Crimée. L’unité européenne a fonctionné, même si, pendant un temps, le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, a semblé se rallier à Donald Trump sur la question russe.

Si la volte-face de Washington a causé bien des déceptions, elle n’est pas dénuée de fondements. Le Canada impose effectivem­ent des tarifs douaniers de 270% sur les produits laitiers américains, tout en restant très dépendant économique­ment des Etats-Unis. Plus de 75% des exportatio­ns canadienne­s vont chez le grand voisin.

En cas de guerre commercial­e, plusieurs secteurs d’activité canadiens seraient menacés par les Etats-Unis: l’automobile, les produits pharmaceut­iques et les produits laitiers, mais aussi le bois d’oeuvre. Et lorsque Donald Trump parle d’imposer des tarifs douaniers sur l’automobile, il ne vise pas que l’Allemagne et le Japon, mais aussi le Canada. Plus de 125000 Canadiens sont salariés dans les usines d’assemblage de Ford ou General Motors de l’Ontario. Quelque 96% des exportatio­ns canadienne­s d’automobile­s sont destinées aux Etats-Unis. Les échanges entre les deux pays sont déséquilib­rés dans ce secteur. Les Etats-Unis exportent pour 32 milliards de dollars d’automobile­s au Canada, alors qu’Ottawa en expédie pour 57 milliards de dollars vers son voisin.

Pour comprendre le coup de théâtre de Donald Trump et son attitude vis-à-vis de son partenaire canadien, il est important de souligner que les deux pays sont en pleine renégociat­ion de l’Alena avec le Mexique et que les négociatio­ns piétinent. Et puis, à quelques jours de sa rencontre avec Kim Jong-un, Donald Trump ne peut pas se permettre de passer pour un faible.

«On a su rassurer ceux qui doutaient de notre capacité à travailler ensemble» LE PREMIER MINISTRE CANADIEN, JUSTIN TRUDEAU «En raison des fausses déclaratio­ns de Justin, j’ai donné instructio­n de ne pas approuver le communiqué» DONALD TRUMP, PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS

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(BUNDESREGI­ERUNG/JESCO DENZEL/HANDOUT VIA REUTERS) Donald Trump au G7, face à la chancelièr­e allemande Angela Merkel.

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