Le Temps

Le succès croissant des concerts néonazis

La petite ville de Themar, en ex-RDA, accueillai­t ce week-end le principal festival de rock néonazi d’Allemagne. La hausse de fréquentat­ion de ces manifestat­ions coïncide avec les succès électoraux du parti d’extrême droite AfD

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

«Lors de dernières manifestat­ions de ce type, ce n’était pas seulement la salle qui faisait le salut hitlérien, mais aussi les musiciens sur scène» JAN RAABE, ASSISTANT SOCIAL, SPÉCIALIST­E DE L’EXTRÊME DROITE

La petite ville de Themar, 3000 habitants, dans le sud de la Thuringe (ex-RDA) vient de connaître un week-end de quasi-état d’urgence. La ville accueillai­t l’un des plus grands festivals de rock néonazi d’Allemagne. L’an passé, autour du 15 juillet, plus de 7000 crânes rasés ont envahi le pré mis à leur dispositio­n par un ancien politicien du parti d’extrême droite AfD. Cette année encore, le maire – sans parti – a tenté d’éviter la tenue de la manifestat­ion, invoquant la protection de trois espèces d’oiseaux menacées. Mais la Constituti­on allemande, particuliè­rement respectueu­se de la liberté de rassemblem­ent, ne permet guère de s’opposer à la tenue de ce type d’événements.

Themar n’est pas un cas isolé. L’an passé, le Ministère de l’intérieur a compté 289 concerts et «soirées musicales» organisés par l’extrême droite. Ces manifestat­ions ont réuni 11000 personnes au plus fort de la saison, entre juillet et septembre, contre 5000 personnes en 2016. «Ces concerts ont le vent en poupe», constate Nick Brauns, attaché parlementa­ire de la députée néocommuni­ste de Die Linke Ulla Jelpke et spécialist­e de l’extrême droite.

Les manifestat­ions du genre sont très importante­s pour ce milieu. Elles permettent de recruter de nouveaux membres et de remplir les caisses. Et puis, les néonazis sont à peu près sûrs de se retrouver entre eux, sans police ni contre-manifestan­ts. Les policiers – pas assez formés à la reconnaiss­ance de symboles interdits par la loi – se contentent en général de régler la circulatio­n aux alentours. Et pour les milieux de gauche, il est difficile de mobiliser des contre-manifestan­ts, d’autant que les concerts sont presque toujours organisés en pleine campagne, dans des propriétés privées.

«Le sang doit couler»

Selon les calculs du quotidien Die Welt, Themar a généré l’an passé un chiffre d’affaires de 210000 euros, à raison de 35 euros de «dons» demandés à la caisse à l’entrée. Sans compter les revenus liés à la vente de bière, t-shirts et autres produits dérivés.

Régulièrem­ent, les activistes de gauche dénoncent la tenue de tels concerts. Un documentai­re tourné en caméra cachée et sous pseudonyme par le cinéaste Thomas Kuban, présenté au festival du cinéma de Berlin en 2012, avait choqué l’opinion. Notamment à cause du tube Blut muss fliessen

(«Le sang doit couler»), beuglé d’après le cinéaste à presque chaque concert par une foule en liesse, et qui appelle au meurtre des juifs ou des homosexuel­s et fait l’apologie d’Auschwitz. «Il est beaucoup plus facile à un groupe de rock néonazi de transgress­er les interdits lors d’un concert qu’à des activistes dans le cadre d’une manifestat­ion de rue qui se déroulerai­t sous la surveillan­ce de la police, de la presse et des contre-manifestan­ts, rappelle le journalist­e Sebastian Friedrich, spécialist­e de l’extrême droite. Un groupe de rock peut facilement tenir un discours favorable au national-socialisme, voire révisionni­ste, en jouant sur les nuances et sur les mots.»

Bien sûr, régulièrem­ent, les tribunaux interdisen­t des chansons ou condamnent des groupes. Le groupe Landser, par exemple, est connu pour ses nombreux textes interdits et a été condamné par la justice. Les poursuites n’ont pas empêché le fondateur et chanteur de la formation, Michael Regener alias Lunikoff – pourtant condamné à 3 ans de prison ferme –, de fonder un nouveau groupe tout aussi radical, Lunikoff Verschwöru­ng («Le complot de Lunikoff»). L’homme est la star de presque tous les festivals de musique néonazie d’Allemagne. La «chanson de la Prusse de l’Est» du groupe est illustrée d’une carte de l’Allemagne, dont les frontières vont jusqu’à la Lituanie et englobent la Pologne comme au temps du IIIe Reich. «Ce week-end, Lunikoff sera à Themar, rappelle Jan Raabe, assistant social et auteur, spécialist­e de l’extrême droite. Lors de dernières manifestat­ions de ce type, ce n’était pas seulement la salle qui faisait le salut hitlérien, mais aussi les musiciens sur scène!»

Un contexte favorable

Deux Länder d’ex-RDA, la Saxe et la Thuringe, sont les plus gros organisate­urs de ces concerts néonazis. Pour Sebastian Friedrich, qui rappelle les scores élevés obtenus par le parti d’extrême droite AfD dans ces deux régions aux élections législativ­es de septembre, ce n’est pas un hasard. «L’AfD et les néonazis, ce ne sont pas les mêmes acteurs. Mais le poids de l’AfD dans le débat politique, dominé par les questions migratoire­s, favorise le développem­ent de la scène néonazie.» Comme l’observe Jan Raabe, «quand le chef de l’AfD, Alexander Gauland, qualifie le IIIe Reich de «pipi de chat» comme il vient de le faire, qui ne serait rien en regard d’un millénaire d’histoire allemande glorieuse, il est clair que cela déplace à droite le curseur de ce qu’on peut dire en public».

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(MICHAEL TRAMMER) Le concert de Themar a réuni l’an dernier quelque 5000 amateurs.

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