Taïwan, l’autre casse-tête diplomatique de Donald Trump
Si tous les regards seront tournés vers Singapour le 12 juin prochain pour la rencontre historique entre Donald Trump et Kim Jong-un, un autre événement diplomatique de premier plan se tiendra à Taïwan le même jour: l’inauguration de l’Institut américain à Taipei, l’ambassade officieuse des Etats-Unis dans la capitale taïwanaise. Le nouveau bâtiment, qui aura nécessité près de neuf ans de travaux pour un budget de 250 millions de dollars, sera inauguré pour l’occasion par la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, et le président de l’Institut, James Moriarty. Cependant, le véritable enjeu de cette inauguration réside dans la composition même de la délégation américaine. Quel membre de son administration Donald Trump choisira-t-il pour le représenter?
Si les spéculations vont bon train – le nom de John Bolton (conseiller à la sécurité nationale et fervent défenseur de l’île) circule avec insistance –, la présence, ou non, de toute personnalité de haut rang sera perçue comme un signal clair quant à la position américaine sur la question taïwanaise. Pour Taipei, une délégation importante conduite, éventuellement, par un membre du cabinet présidentiel viendrait renforcer le soutien américain observé ces derniers mois. En effet, depuis le début de l’année, la Maison-Blanche a multiplié les gestes en faveur de son allié. Plusieurs décisions, allant de l’autorisation pour les responsables politiques des deux pays de se rencontrer officiellement (Taiwan Travel Act) au transfert de technologies militaires pour la construction de sous-marins par la marine taïwanaise, ont considérablement renforcé les liens entre Washington et Taipei.
Ce rapprochement intervient dans un contexte particulièrement difficile pour Taïwan, victime d’une campagne d’intimidation sans précédent de la part du voisin chinois. Il faut dire que le ton farouchement nationaliste adopté par Xi Jinping lors de son discours de clôture de la session annuelle du parlement le 20 mars dernier ne laissait guère de doute quant à la détermination du président chinois de ramener l’«île rebelle» dans le giron national. Jamais depuis son arrivée aux affaires en 2012, Xi Jinping n’avait adressé une telle mise en garde à Taïwan. «Tous les actes et tous les stratagèmes visant à séparer la Chine sont voués à l’échec et s’exposeront à la condamnation populaire et à la punition de l’Histoire», avait-il sèchement prévenu. Le président chinois semble avoir perdu toute patience avec la majorité indépendantiste au pouvoir dans l’île depuis 2016.
Face au refus continu de Tsai Ing-wen de reconnaître le «consensus de 1992» selon lequel les deux parties acceptent l’idée d’une seule Chine, chacun avec sa propre interprétation, Pékin a choisi d’adopter une stratégie beaucoup plus agressive. Il y a d’abord eu ce courrier de remontrances envoyé à 36 compagnies aériennes pressant ces dernières de changer leur façon de présenter Taïwan comme un pays distinct sur leur site internet. Cette démarche, bien que qualifiée de «non-sens orwellien» par Washington, a été acceptée par la plupart des compagnies comme Lufthansa, British Airways, Air France, Qantas, Delta Airlines et Air Canada. Puis, il y a eu les ruptures diplomatiques successives entre Taïwan et deux de ses alliés historiques, le Burkina Faso et la République dominicaine. Il ne reste aujourd’hui que 18 Etats, parmi lesquels le Vatican et des nations du Pacifique et d’Amérique latine, qui maintiennent encore des relations officielles avec Taïwan au détriment de la Chine.
Enfin, il y a l’augmentation croissante de manoeuvres militaires, de plus ou moins grande ampleur, dans le détroit de Formose. Depuis le début de l’année, les forces navales et aériennes chinoises ont intensifié leurs exercices, parfois à tirs réels, dans les eaux internationales entourant l’île et dans l’espace aérien qui les surplombe. Pour Pékin, toute action visant à remettre en cause sa souveraineté sur Taïwan est intolérable.
Les autorités chinoises ont d’ores et déjà prévenu les Etats-Unis que toute présence officielle à Taipei le 12 juin prochain sera prise comme un affront et que Washington devra en assumer les conséquences. Si pour l’instant on ignore la nature d’éventuelles représailles, le soutien chinois sur le dossier nucléaire nord-coréen représente un formidable moyen de pression. Donald Trump sait qu’il joue gros dans ce dossier. Osera-t-il se fâcher avec Pékin et risquer ainsi un succès diplomatique majeur ou choisira-t-il de ménager la susceptibilité chinoise, quitte à renforcer Xi Jinping dans son ambition de réunifier Taïwan à la Chine? Quelle que soit la décision que prendra le président américain, une chose est sûre: la question taïwanaise continuera d’empoisonner les relations entre les Etats-Unis et la Chine bien au-delà du 12 juin.
Trump choisira-t-il de ménager la susceptibilité chinoise, quitte à renforcer Xi Jinping dans son ambition de réunifier Taïwan à la Chine?