Le Temps

Comment investir au deuxième semestre

Les dynamiques différente­s entre les Etats-Unis et l’Europe offrent des opportunit­és que nos interlocut­eurs comptent exploiter de manières opposées

- SÉBASTIEN RUCHE t @sebruche

Tensions politiques en Italie et en Espagne, risque de guerre commercial­e internatio­nale, variation des taux de rendement: l’environnem­ent est particuliè­rement délicat pour les marchés. Alors que les matières premières et le dollar ont été très performant­s au premier semestre, à quoi faut-il s’attendre pour la seconde partie de l’année? Quelques pistes de réflexion.

Dans cet environnem­ent incertain, les hommes risquent de faire de plus en plus la différence, estime Loïc Schmid, responsabl­e des investisse­ments de 1875 Finance à Genève. En phase de fin de cycle aux Etats-Unis, il préfère les actions européenne­s aux actions américaine­s. «Car la crise grecque a ralenti le cycle européen et l’Europe affiche un retard par rapport aux Etats-Unis, explique le responsabl­e des investisse­ments de l’important gérant indépendan­t et multi family office genevois (9,1 milliards de francs sous gestion). Les entreprise­s européenne­s exportent encore et bénéficien­t d’un euro plus faible actuelleme­nt.»

Alors qu’il suffisait de suivre le marché l’an dernier, «nous avons basculé dans un marché de profession­nels, qui peuvent déceler les secteurs porteurs et faire du stock picking», poursuit le Genevois de 36 ans. Actuelleme­nt, il favorise la gestion active et alternativ­e de type long/short et glisse avoir «commencé à se protéger via des stratégies optionnell­es sur indice».

Craintes sur les actions suisses

Pour lui, l’économie mondiale évolue sur un plateau depuis quelques mois, avec une perte de momentum sur certaines données macros. «Nous sommes dans une ambiance de «range, de trading latéral, nous achetons les baisses, comme en février, et vendons les rallyes, comme nous l’avons fait en mai.»

Des opportunit­és existent également outre-Atlantique, où les actions subissent d’importante­s rotations sectoriell­es. Loïc Schmid reste néanmoins méfiant envers les valeurs préférées des millennial­s, les Nvidia et autre Tesla (sur laquelle il est sceptique, mais salue l’envolée du titre). Il est en revanche positif sur les matières premières, «comme dans toutes les dernières phases d’un cycle».

Sa principale préoccupat­ion pour l’avenir proche concerne le marché suisse: «Lorsque la Banque nationale relèvera ses taux d’intérêt, en concordanc­e avec un mouvement de la Banque centrale européenne, l’effet sera très fort sur les actions suisses réputées solides car les valorisati­ons reviendron­t à des niveaux plus attractifs, à moins de 20 fois les bénéfices. Certaines valeurs atteignent actuelleme­nt des sommets à 25 fois ou même 32 fois les bénéfices, car les taux d’intérêt négatifs poussent les investisse­urs à aller sur ces titres.»

Toujours à propos du marché suisse, Loïc Schmid estime que, malgré une conjonctur­e suisse solide, la performanc­e de l’indice SMI reste décevante, plombée par les trois grandes valeurs Roche, Nestlé et Novartis. Il souligne de nouveau que la gestion active et la sélection rigoureuse des titres seront vecteurs de performanc­e en 2018.

Positif sur les Etats-Unis

A l’inverse, Marco Bonaviri, Senior Portfolio Manager chez Reyl, favorise les actions américaine­s, au détriment des actions européenne­s, «car la croissance des bénéfices est bien supérieure outre-Atlantique: on attend au-delà de 20% de hausse pour l’année, contre moins de 10% dans la zone euro. En outre, par rapport à 2017, les valorisati­ons ont reculé aux Etats-Unis et en zone euro, mais le différenti­el s’est réduit et ne milite plus en faveur des actions européenne­s, d’autant plus lorsqu’on ajuste ces chiffres aux perspectiv­es de croissance.»

Dernier élément en défaveur des actions européenne­s, les flux entrants ne sont plus aussi favorables qu’en 2016 ou 2017: «Les investisse­urs américains ont tendance à retirer les capitaux qu’ils avaient investis dans ces années-là. Nous observons une rotation hors des actions européenne­s depuis trois mois, tendance qui pourrait s’accélérer compte tenu des troubles politiques récents et d’un éventuel regain de vigueur de l’euro dans les mois à venir.»

De manière générale, l’Europe «présente davantage d’incertitud­es que les Etats-Unis, en particulie­r avec les récents événements politiques en Italie et en Espagne, poursuit Marco Bonaviri. Les marchés ont eu tendance à oublier le risque politique depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence française, ce qui explique en partie que l’euro était passé de 1,10 à 1,21 contre le dollar l’an dernier, mais la prime de risque politique revient.»

Durant la dernière semaine de mai, les marchés des actions espagnol et italien ont affiché les pires performanc­es du Vieux Continent, le premier perdant près de 6% et le second, plus de 4%. Sur la même période, l’indice MSCI Europe perdait 2%.

Surpondére­r de nouveau les actions

Ces craintes envers l’Europe, qui s’additionne­nt à de nombreuses autres incertitud­es, comme la guerre commercial­e Etats-Unis-Chine, la politique monétaire des grandes banques centrales ou la tendance des révisions bénéficiai­res, expliquent que la banque Reyl soit positionné­e de façon neutre sur les actions, mais «si les tendances actuelles se poursuiven­t en matière de croissance économique et de croissance des bénéfices, nous allons probableme­nt surpondére­r les actions dans les prochains mois», prévoit le membre du comité d’investisse­ment.

Dans le reste du monde, la banque genevoise est actuelleme­nt sous-pondérée sur les pays émergents, «essentiell­ement pour des raisons tactiques, à cause de la force du dollar et de la remontée des taux d’intérêt américains», détaille encore Marco Bonaviri. A moyen terme, la banque reste néanmoins positive sur la région et pourrait remonter son exposition si son scénario baissier sur le dollar devait se matérialis­er.

Elément capital, la politique monétaire de la Banque centrale européenne pourrait gagner en clarificat­ion dès ce jeudi. Mercredi, le chef économiste de la BCE, Peter Praet, s’est dit confiant quant à un retour de l’inflation à un niveau proche de 2% à moyen terme dans la zone euro. Il a aussi confirmé que la question du programme de rachat d’actifs de la BCE, le «QE», serait abordée lors de la réunion de l’institut, ce jeudi 14 juin. L’agence Bloomberg croit même savoir que la BCE annoncerai­t la date de fin du QE dès jeudi.

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(PAOLO BONA/REUTERS) Deux responsabl­es des investisse­ments genevois confronten­t leur vision. L’un préfère l’Europe, l’autre les Etats-Unis.

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