Dum Romae consulitur, Saguntum expugnatur*
Une réflexion sur le développement du private banking helvétique dans la phase post-secret bancaire fiscal s’impose. Il est certain qu’actuellement l’accès au marché de la plupart des pays de l’Union européenne depuis la Suisse est au mieux extrêmement difficile, au pire impossible. Il n’y a aucune raison majeure pour que désormais l’Union européenne fasse des concessions à nos banques. Tout accord en la matière prendra des années à être négocié et mis en oeuvre; or, les clients n’attendent pas. D’autant plus que, contrairement à un mythe parfois propagé par des nostalgiques du passé, la Suisse n’est pas le seul pays où les banques savent tenir des comptes et recommander des investissements. Ce d’autant plus lorsque ceux-ci doivent être compatibles avec l’environnement fiscal spécifique du client.
Sur ce thème, on regrettera la touchante ingénuité des gouvernements suisses successifs qui n’ont pas compris que, à partir du moment où l’on sacrifiait spontanément le secret bancaire fiscal sans obtenir une contrepartie, il allait être difficile, voire impossible, d’accéder à ceux qui étaient des marchés historiques pour nos banques.
Besoin d’habileté et de cynisme
Il est vrai que négocier différemment aurait exigé un mélange d’habileté et de cynisme qui ne sont plus, hélas, les qualités premières de l’Helvète à l’aube du XXI siècle. Nous arrivons donc à la situation paradoxale, et totalement insatisfaisante, où une banque suisse ne peut conserver un client français dont les avoirs ne sont pas déclarés, mais ne peut aller «draguer» en France, sans violer la loi française et encourir une peine sévère, un client en situation fiscale régulière.
Il est certain que les marchés des pays de l’Union européenne ne sont pas les seuls pouvant être desservis depuis la Suisse. La planète est, Dieu merci, composée d’innombrables pays. Y compris de certains Etats où, contrairement, à notre vieille bonne Europe, des richesses parfois très importantes sont générées. Et certains des ressortissants de ces pays font confiance à nos banques.
Dans de tels cas de figure, le problème n’est en général pas un problème fiscal mais un problème de due diligence, notamment s’agissant de l’origine des fonds des clients. La moindre difficulté rencontrée par ces derniers, des bruits de corruption relatés par une gazette locale ou un changement de régime peuvent obliger les banques à communiquer des comptes aux autorités helvétiques. Celles-ci déclenchent parfois des enquêtes tous azimuts pour essayer de démontrer que l’argent déposé en Suisse est le fruit d’un crime préalable perpétré à l’étranger. Exercice difficile s’il en est mais qui semble être la tâche régulière d’une partie de la magistrature helvétique. Avec comme conséquence collatérale que des sommes colossales sont saisies pénalement pendant des années en Suisse sans que l’on sache exactement si cette politique criminelle, proactive et unique, porte ou non des fruits. «Négocier différemment [la fin du secret bancaire] aurait exigé un mélange d’habileté et de cynisme qui ne sont plus, hélas, les qualités premières de l’Helvète à l’aube du XXI siècle»
Méthode de calcul opaque
Certes, des statistiques sont publiées régulièrement pour indiquer que la place financière suisse croît en taille. En réalité, il faudrait en savoir plus sur comment ces statistiques sont élaborées pour comprendre ce qu’elles signifient réellement. Ainsi, et d’ores et déjà, est-ce que ces données recouvrent les booking center suisses uniquement ou également des avoirs déposés en dehors de Suisse, mais comptabilisés auprès d’un groupe dont le siège est en Suisse? Obtenir des renseignements à ce sujet est très difficile. Ce d’autant plus que les données publiées par les groupes bancaires, qui ont des activités de gestion de fortune également en dehors de Suisse, sont difficiles à interpréter.
Or seules des données précises, présentées de façon homogène, peuvent fournir des réponses à des questions clefs et qui intéressent tous les acteurs: dans quelle mesure est-il possible de répliquer dans d’autres places financières, et dans des marchés qui sont des marchés étrangers pour les banques suisses, ce qui a fait le succès du modèle helvétique? A supposer que cela soit possible, est-ce que la rentabilité est justifiée par rapport aux risques encourus, toujours accrus dans un environnement juridique et économique que l’on ne maîtrise pas?
Si la pudeur virginale dont font preuve les banques sur ces thèmes est compréhensible (sauf à vouloir reconnaître publiquement le succès tout relatif de projets onshore annoncés en fanfare et dans lesquels des sommes massives ont été investies), elle n’en est pas moins regrettable puisque des décisions potentiellement importantes pour l’avenir de la place (les rapports avec l’Union européenne, par exemple) sont prises sur la base d’indications imprécises et biaisées.
Le crédit, nouveau risque
Par ailleurs, la question de la taille des avoirs des clients n’est pas la seule déterminante mais la rentabilité de l’activité est en réalité essentielle. Devenir plus grand simplement en acceptant des avoirs, dont on s’occupera à vil prix pour qu’ils échappent à la concurrence. n’est pas une politique saine. Mais, il est certain que la pression sur les marges continuera, ce d’autant plus que les acteurs les plus importants semblent tous courir derrière les mêmes Ultra High Net Worth
Individuals, soit le segment de la clientèle le plus difficile et le plus professionnel.
Ces derniers profitent de la compétition actuelle, non seulement pour négocier les meilleures conditions à leur profit, mais également pour se faire octroyer de plus en plus de crédits, qui ne sont pas des crédits lombards classiques, par les banques auxquelles ils confient une partie de leurs actifs. Il n’y a dans ce nouveau risque que les banques de gestion de fortune veulent de plus en plus encourir rien de dramatique. Pour autant naturellement qu’il soit géré, et surtout rémunéré, de façon adéquate.
* Pendant qu’à Rome on discute, Sagonte tombe