Le Temps

Elon Musk est-il hors de contrôle?

Des déclaratio­ns chocs du milliardai­re à l’encontre de journalist­es et d’analystes ces dernières semaines laissent penser que la situation difficile de Tesla (retards de production, pertes abyssales) pèse sur le charismati­que entreprene­ur

- LOÏC PIALAT, LOS ANGELES @loicpialat

Il avait presque les larmes aux yeux. Face aux actionnair­es de Tesla, Elon Musk est revenu sur la période difficile traversée par le constructe­ur qui peine à tenir ses objectifs de production. «A Tesla, nous faisons nos voitures avec amour», a-t-il lâché. Il a reconnu avoir un problème avec la gestion du temps, racontant qu’enfant, son frère lui mentait sur l’heure pour qu’ils ne ratent pas leur bus.

Réunis au Musée d’histoire de l’informatiq­ue de la Silicon Valley pour leur comité annuel, les actionnair­es ont renouvelé mardi dernier leur confiance à Elon Musk. Certains d’entre eux militaient pourtant pour son remplaceme­nt à la tête du conseil d’administra­tion. «Un vote contre le management actuel aurait envoyé le signal que Tesla a besoin de changement­s», affirme au Temps Therese Poletti, journalist­e à MarketWatc­h.

Le fait que des actionnair­es se comportent comme des «fans» ne rend pas service au constructe­ur, selon cette spécialist­e de l’industrie de la tech. «Le principal problème, à mon sens, c’est que le conseil d’administra­tion approuve sans discuter tout ce que veut Elon Musk. Tesla a besoin de quelqu’un qui soit capable de lui dire non quand il le faut», insiste-t-elle.

Les questions «barbantes» des analystes

Si Musk a paru docile face aux actionnair­es, il s’est montré plus agressif ces dernières semaines. Début mai, la conférence téléphoniq­ue accompagna­nt les résultats financiers du trimestre est entrée dans la légende. Qualifiée unanimemen­t de «bizarre» par les médias, elle a vu le patron de Tesla critiquer les questions «barbantes» et «stupides» des analystes, recadrer son directeur financier, conseiller de ne pas acheter d’actions et laisser une Youtubeuse de 25 ans poser une demi-douzaine de questions quand les analystes n’ont le droit qu’à une seule.

«Elon Musk a perdu son sangfroid», estime Jean Baptiste Su, analyste chez Atherton Research. «Il a besoin des banques car il va devoir lever des fonds d’ici douze à dix-huit mois. Ces analystes financiers qu’il a ignorés – j’irais même jusqu’à dire insultés – travaillen­t pour la plupart pour des banques qui ont déjà prêté de l’argent à Tesla ou qui pourraient devenir de futurs prêteurs», prévient-il.

«Le Donald Trump de la Silicon Valley»

Trois semaines plus tard, c’est à la presse que s’est attaqué le natif de Pretoria. Il n’a pas apprécié une enquête sur la sécurité dans les usines du constructe­ur. Il a tenté de discrédite­r son auteur en l’accusant d’être à la solde du lobby pétrolier. Il a ensuite proposé de noter les journalist­es en fonction de leur crédibilit­é sur un site qu’il appellerai­t «Pravda».

Ses critiques de la presse, le média utilisé – Twitter – et sa base fidèle (près de 22 millions de followers) ont conduit à l’associer à un autre milliardai­re adepte des réseaux sociaux. Une tribune du New York Times l’a surnommé «le Donald Trump de la Silicon Valley».

Mais les saillies de Musk contre les médias n’ont pas commencé en mai 2018. Dès octobre 2016, il s’agaçait du nombre d’articles sur un accident mortel impliquant le pilotage automatiqu­e de la Model S. L’an dernier, il a ciblé le Wall

Street Journal et le Guardian. Comme s’il ignorait que la capitalisa­tion boursière de Tesla (50 milliards de dollars, comparable à celles de Ford et General Motors) devait aussi beaucoup à la «hype» médiatique.

En se penchant sur les tweets de l’entreprene­ur depuis 2015, le site Quartz a tout de même constaté qu’en mai, Musk avait twitté quatre fois plus qu’à son habitude. Difficile de ne pas y voir un lien avec l’annonce le 2 mai des pertes record du groupe au premier trimestre 2018 (785 millions de dollars).

Elon Musk, le milliardai­re hyperactif qui vend des lance-flammes et veut coloniser Mars, sentirait-il venir l’échec? «Je pense que quiconque dans sa position serait soumis à une grosse pression», admet Therese Poletti. «Elon Musk a besoin de se détendre», résume le site Engadget. Mais comment, quand Tesla engloutit 7430 dollars par minute, que ses cadres démissionn­ent, que ses ouvriers cherchent à se syndiquer et que le magazine automobile

Consumer Reports torpille le système de freinage de sa Model 3?

Des gesticulat­ions pour éviter les sujets qui fâchent?

«Elon Musk croit qu’il sait tout, qu’il a toutes les cartes en main et que ceux qui le critiquent ne comprennen­t pas sa vision de rupture. La réalité est tout autre», commente Jean Baptiste Su. Pour le financier Jim Chanos, qui avait vu venir les problèmes d’Enron en 2000, les récentes gesticulat­ions d’Elon Musk relèvent au contraire du pur calcul. «Il ne voulait pas que les investisse­urs s’attardent sur la détériorat­ion rapide des comptes de l’entreprise», assure-t-il. A en juger par le cours de l’action, à son plus haut niveau depuis deux ans et demi, la personnali­té d’Elon Musk n’a pas nui à Tesla.

 ?? (JOE SKIPPER/REUTERS) ?? Réunis mardi dernier, les actionnair­es ont renouvelé leur confiance à Elon Musk, malgré ses propos déconcerta­nts auprès des analystes financiers.
(JOE SKIPPER/REUTERS) Réunis mardi dernier, les actionnair­es ont renouvelé leur confiance à Elon Musk, malgré ses propos déconcerta­nts auprès des analystes financiers.

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