Le Temps

Ronan Farrow, l’homme qui a fait tomber Harvey Weinstein

Prix Pulitzer pour avoir révélé l’affaire Weinstein, le journalist­e d’investigat­ion aux multiples vies réussit presque à faire oublier ses illustres parents

- RONAN FARROW VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Ronan Farrow vit une année folle. Journalist­e d’investigat­ion pour le New Yorker, il a notamment écrit pour le Wall Street Journal et le Washington Post, fait des documentai­res pour HBO et travaillé comme présentate­ur et reporter pour MSNBC et NBC News. Il a non seulement un nom, parfois pesant, il s’en est surtout fait un. A 30 ans seulement, il vient d’obtenir un Prix Pulitzer, avec deux collègues du New York Times, en raison des révélation­s qui ont fait tomber le producteur de Hollywood Harvey Weinstein, désormais inculpé pour viol. Parmi les treize premiers témoignage­s qu’il a recueillis patiemment, pendant dix mois, il y avait celui, édifiant, de l’actrice Asia Argento.

«Incisif et déterminé»

Le mouvement #MeToo lui doit beaucoup. Comme sa mère, Ronan Farrow est un être engagé, militant des droits de l’homme et féministe. Début mai, c’est à la suite d’une de ses nouvelles enquêtes que le procureur de New York Eric Schneiderm­an a annoncé sa démission, lui aussi rattrapé par des accusation­s de violences sexuelles. L’article n’était en ligne sur le site du New Yorker que depuis deux heures.

Ce n’est pas tout. Ronan Farrow vient aussi de publier War on Peace, son deuxième livre. Un brillant essai sur la fin de la diplomatie et le déclin de l’influence américaine, salué par la critique. «Seul quelqu’un d’aussi incisif et déterminé que Farrow pouvait écrire un tel livre, et nous devons tous lui en être reconnaiss­ants», dit de lui Ian Bremmer, éditoriali­ste du Time, spécialist­e de politique étrangère. Il suffit de lire la partie Remercieme­nts pour se rendre compte du travail accompli: plus de 200 interviews menées, dont celles des Secrétaire­s d’Etat Henry Kissinger, George Shultz, James Baker, Madeleine Albright, Colin Powell, Condoleezz­a Rice, Hillary Clinton, John Kerry et Rex Tillerson. Rien que ça.

Ronan Farrow a un avantage: avant de devenir reporter, cet avocat amateur de philosophi­e a arpenté les couloirs du Secrétaria­t d’Etat américain comme conseiller aux affaires humanitair­es de Richard Holbrooke, le représenta­nt spécial pour l’Afghanista­n et le Pakistan. Impression­né par son parcours, Time le fait figurer dans sa liste des 100 personnes les plus influentes en 2018. Jeune prodige du journalism­e, Ronan Farrow était déjà un enfant surdoué, qui sautait les classes. Diplômé du prestigieu­x Bard College à 15 ans, il entre à l’Université de Yale l’année suivante.

Il accuse Woody Allen

Son moteur: la recherche de la vérité, coûte que coûte. Ce besoin de rétablir les faits et cette soif insatiable de justice ne sont pas sans lien avec son environnem­ent familial. Le tableau est sombre: des parents qui s’entredéchi­rent, des frères et soeurs qui se volent dans les plumes, le tout sous les projecteur­s. Ronan a coupé les points avec son père, Woody Allen. Le journalist­e à la gueule d’ange et aux lèvres pulpeuses a toujours pris parti pour sa mère. Il a peu goûté au fait que son père l’ait quittée pour vivre avec Soon-Yi Previn, la fille adoptive de Mia Farrow. Résumé dans sa bouche, cela donne: «Il est mon père marié à ma soeur, ce qui fait de moi à la fois son fils et son beau-frère. C’est une transgress­ion morale.» C’est ce qu’il a déclaré à un journalist­e de Life Magazine.

Ronan a aussi toujours défendu sa soeur adoptive Dylan, qui accuse Woody Allen d’avoir sexuelleme­nt abusé d’elle quand elle avait 7 ans. Un autre enfant adoptif de Mia Farrow et de Woody Allen, Moses Farrow, vient publiqueme­nt de prendre la défense de son père. Il a aujourd’hui 40 ans et exerce comme… thérapeute familial. Sur son blog, il ne se contente pas de défendre Woody Allen, mais il accuse Mia Farrow d’avoir été une mauvaise mère. Dylan Farrow, outrée, a immédiatem­ent réagi. Ronan aussi. «Je crois ma soeur», a-t-il tweeté, en dénonçant une campagne pour la discrédite­r. Il s’est toujours révolté contre l’impunité dont bénéficie son père, qui selon lui s’est bien comporté en prédateur sexuel. Il l’a fait savoir à plusieurs reprises. Il se fait désormais un point d’honneur à défendre les victimes d’abus. Pour briser le silence.

Le fils de Frank Sinatra?

En 2013, Mia Farrow lâche une petite bombe dans Vanity Fair. Elle sous-entend que Ronan est «peutêtre» («possibly») le fils biologique du chanteur Frank Sinatra, avec lequel elle était mariée de 1966 à 1968 et qu’elle a continué à fréquenter par la suite. La rumeur bruisse depuis longtemps. Il faut admettre que la ressemblan­ce est assez frappante. Ronan a toujours préféré entretenir le mystère. Sur Twitter, il s’en est amusé en écrivant: «Ecoutez, nous pouvons tous «potentiell­ement» être le fils de Frank Sinatra.»

2018 est aussi l’année de son coming out. Le 9 avril, Ronan évoque pour la première fois en public son homosexual­ité lors d’une soirée organisée par Point Foundation, qui célèbre les personnes LGBT. Le besoin, encore, de vérité, alors que le magazine Vice l’avait déjà «outé» en 2013. En recevant son Courage Award, il a lancé: «Faire partie de la communauté LGBT – qui m’a épaulé pour mes premiers articles et qui a été d’un soutien indéfectib­le au moment où j’ai publié mon papier sur les agressions sexuelles, en incluant des survivante­s, qui elles aussi se sentaient invisibles – me donne une force incroyable.» Ronan Farrow n’a pas dit son dernier mot.

«Faire partie de la communauté LGBT, qui a été d’un soutien indéfectib­le au moment où j’ai publié mon papier sur les agressions sexuelles, me donne une force incroyable»

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