Le Temps

La direction de CarPostal décapitée

Plusieurs têtes tombent après la publicatio­n du rapport d’experts, accablant pour plusieurs dirigeants. Des réformes sont mises en route

- BERNARD WUTHRICH, BERNE BdWuthrich

Après la démission de la directrice de La Poste, Susanne Ruoff, le conseil d’administra­tion a annoncé lundi la suspension de toute la direction de CarPostal à la suite des irrégulari­tés relevées

Le scandale avait été révélé en février dernier. Dans le cadre d’une révision, l’Office fédéral des transports avait découvert que la filiale de La Poste, CarPostal, avait réalisé des bénéfices dans un domaine subvention­né. Il a mis au jour des transferts illégaux de coûts et de produits du transport régional indemnisé vers d’autres secteurs entre 2007 et 2015. Durant ces années, CarPostal a encaissé pour plus de 78 millions de francs d’indemnités en trop de la part des cantons et de la Confédérat­ion.

Pour faire toute la lumière sur cette affaire, un rapport interne avait été commandé par La Poste. Il a été rendu public hier devant la presse, et les sanctions sont tombées. Après la démission annoncée dimanche de la directrice de La Poste, Susanne Ruoff, c’est toute la direction de CarPostal qui a été suspendue lundi par le conseil d’administra­tion de La Poste. Celui-ci considère que la direction de CarPostal avait reçu les documents qui démontraie­nt l’illégalité de la pratique en matière de subvention­nement public. Urs Schwaller s’est dit «abasourdi par l’énergie que CarPostal a déployée pour manipuler sa comptabili­té».

Le Conseil fédéral n’accorde qu’une décharge restreinte au conseil d’administra­tion de La Poste et les comptes 2017 sont approuvés sous réserve de ceux de CarPostal. Par ailleurs, le Conseil fédéral procédera à un audit général des entreprise­s de la Confédérat­ion. Doris Leuthard, qui qualifie d’«inexcusabl­es» les pratiques illicites mises au jour, rappelle que, outre l’affaire CarPostal, d’autres entreprise­s parapubliq­ues ont connu de graves manquement­s, que ce soit Ruag victime d’une cyberattaq­ue ou Swisscom d’un vol de données.

«Je suis abasourdi par l’énergie que CarPostal a déployée pour manipuler sa comptabili­té»

URS SCHWALLER, PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRA­TION DE LA POSTE

Aux grands maux, les grands remèdes. Outre la directrice générale de La Poste, Susanne Ruoff, l'ensemble de la direction de CarPostal et la responsabl­e de la révision interne du groupe sont suspendus après la publicatio­n, lundi, du rapport d'inspection interne et du rapport de supervisio­n des trois experts externes désignés par Urs Schwaller, président du conseil d'administra­tion. Par ailleurs, Adriano Vassalli, vice-président du conseil et chargé des audits et de la compliance, ne solliciter­a pas de nouveau mandat. Les mesures prises en matière de personnel sont lourdes. Aucune indemnité de départ additionne­lle à ce qui est prévu dans les contrats de travail ne sera versée, assure Urs Schwaller. Dans le cas de Susanne Ruoff, le délai de résiliatio­n est de six mois.

Urs Schwaller précise qu'il a informé Susanne Ruoff mardi dernier que la relation de confiance était rompue. Vendredi, elle a décidé de se retirer et a été libérée de sa fonction immédiatem­ent. La décision a été communiqué­e dimanche soir. Elle n'était donc pas présente lundi matin à la conférence de presse lors de laquelle Urs Schwaller, «abasourdi par l'énergie que CarPostal a déployée pour manipuler sa comptabili­té», a rendu compte des travaux des experts. Lui-même n'est pas inquiété. Certes, les opérations comptables douteuses se sont vraisembla­blement poursuivie­s en 2016, année de son accession à la présidence de La Poste, et il reconnaît lui-même qu'il aurait pu se montrer plus curieux. Mais rien de répréhensi­ble ne peut lui être reproché, a indiqué lundi après-midi Doris Leuthard, ministre de tutelle de l'entreprise, sur la base des rapports qui lui ont été remis.

Trois millions de documents internes

Reposant sur l'examen de 3 millions de documents internes, le rapport d'experts confirme que la pratique consistant à dissimuler les bénéfices réalisés par CarPostal sur les subvention­s versées par les collectivi­tés publiques a été cachée dans des opérations comptables. De manière systématiq­ue et depuis longtemps. On savait déjà que plus de 90 millions avaient ainsi été encaissés de manière illicite entre 2007 et 2015. Il faut toutefois «partir de l'idée que les manipulati­ons ont commencé bien avant 2007», notent les auteurs de l'expertise dans leur rapport de 216 pages.

Ce document confirme le lien entre ces irrégulari­tés et un important conflit d'intérêts. D'un côté, le Conseil fédéral attend de La Poste qu'elle dégage des bénéfices. De l'autre, la Confédérat­ion indique qu'aucun bénéfice ne peut être réalisé dans le transport régional de voyageurs subvention­né. Cette question a été régulièrem­ent abordée entre Daniel Landolf, directeur de CarPostal, jusqu'à la découverte de l'affaire en février, et ses supérieurs. Des documents font état de discussion­s et d'échanges de courriels entre lui, la direction, divers membres du conseil d'administra­tion ainsi que le directeur financier du groupe. Le rapport rappelle que c'est le Surveillan­t des prix qui a alerté l'Office fédéral des transports (OFT) en 2012. Dans sa version rendue publique, il se contente d'établir les faits. Les recommanda­tions adressées au conseil d'administra­tion ont été caviardées, de même que les noms des personnes subalterne­s. Et, surtout, personne n'a pu être auditionné ni interrogé en raison de l'enquête pénale administra­tive ouverte par la Police fédérale.

Audits supplément­aires demandés

Le document donne cependant quelques indices sur la manière dont ces bénéfices ont été utilisés. Outre les soupçons portant sur le développem­ent de CarPostal en France (voir ci-dessous), des opérations d'achat de pneus ou de subvention­nement du trafic local au Tessin sont évoquées dans les différents courriels et notices recensés par les experts.

Plusieurs mesures sont prises. Premièreme­nt, le projet de réforme connu sous le nom d'Impresa, lancé en 2014 et censé entrer en vigueur en 2016, est abandonné. Il consistait à doter CarPostal d'une structure de holding et de permettre ainsi d'officialis­er ces fameux bénéfices détournés. Deuxièmeme­nt, un comité CarPostal est constitué au sein du conseil d'administra­tion. Troisièmem­ent, le contrat du réviseur externe KPMG ne sera pas reconduit au-delà de l'exercice en cours. Quatrièmem­ent, Ulrich Hurni, responsabl­e de PostMail et adjoint de Susanne Ruoff, assumera la direction intérimair­e du groupe. Mais il a déjà 60 ans. C'est pourquoi une procédure de recrutemen­t d'un nouveau ou d'une nouvelle CEO est lancée en parallèle.

Cinquièmem­ent, le système de commande des prestation­s de transport des voyageurs sera révisé et les entreprise­s concernées devront confirmer par écrit qu'elles respectent le droit des subvention­s. Sixièmemen­t, le Conseil fédéral n'accorde qu'une décharge restreinte au conseil d'administra­tion. Les comptes 2017 sont approuvés sous réserve de ceux de CarPostal. Septièmeme­nt, le Conseil fédéral procédera à un audit des contrôles effectués par l'OFT et à un audit général des entreprise­s de la Confédérat­ion. Doris Leuthard, qui qualifie d'«inexcusabl­es» les pratiques illicites mises au jour, rappelle que, outre l'affaire CarPostal, ces entreprise­s ont été secouées par d'autres événements: cyberattaq­ue contre Ruag, vol de données chez Swisscom.

Le Conseil fédéral n’accorde qu’une décharge restreinte au conseil d’administra­tion de La Poste et veut un audit général des entreprise­s de la Confédérat­ion

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(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) CarPostal, un scandale qui a été révélé en février dernier.

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