Le dernier scoop du «Matin»
Je l’avoue, je n’y ai pas touché durant des années, comme si le simple fait de l’ouvrir était déjà méprisable. Ne m’avait-on pas enseigné, pendant mes années d’études, à me méfier des faits divers et du journalisme de boulevard, instruments de l’aliénation des masses? Le Matin, ce journal qu’il est confortable et rassurant de détester…
Et puis je me suis engagée en politique. Si s’intéresser à l’ensemble de la presse devient évidemment tactiquement indispensable, ce sont surtout des rencontres qui m’ont fait changer d’avis, avec celles et ceux qui font vivre ce journal. Assumant leur ligne aussi bien que les limites du format, ils tentent simplement d’intéresser un public aussi large que possible à l’actualité – c’est-à-dire à ce qui se passe dans le monde, tout près ou très loin. La mise en scène, l’usage immodéré de l’image, le titre comme appât… S’ils se sont parfois rendus coupables de quelques facilités, ce n’est certainement pas par goût de la démagogie, mais bien au service d’une démocratisation de l’information.
Alors oui, Madame Leuthard, la presse romande est bien en danger. S’il faut se réjouir que l’éditeur de Lausanne Cités et de GHI ait repoussé la tentative de rachat de Monsieur Blocher, s’il faut saluer la survie admirable de nombreux journaux régionaux, il faut aussi pleurer la fin du dernier quotidien populaire romand.
Mais le deuil n’interdit pas la réflexion: nous qui adorons lire Le Matin au bar et trouvons normal que son contenu nous soit offert avec le café comme la crème et le sucre, nous sommes aussi ceux qui consomment les nouvelles sur nos smartphones, souvent gratuitement, et nous confondons trop souvent notifications push et information.
Alors si nous sommes sincères, si nous voulons vraiment un paysage médiatique diversifié, il va falloir aussi réapprendre à payer ce qui a de la valeur. Collectivement, par une action de l’Etat, qui peut et doit inventer de nouvelles formes de soutien à la presse écrite. Mais aussi individuellement, en reprenant l’habitude de l’achat, en ligne ou sur papier.
Trois abonnements par bistrot, même dans chaque village et chaque quartier, ne font pas vivre un titre. Surtout face à des exigences de rentabilité difficilement atteignables. C’est peut-être l’un des derniers scoops du Matin. L’analyse, cette fois-ci, appartient aux lecteurs.
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