En Syrie, un million de déplacés supplémentaires
Le bombardement de la Ghouta et la prise d’Afrine ont provoqué des déplacements de population sans précédent. Même à l’échelle de la guerre syrienne
Voilà des mois que la guerre en Syrie est annoncée comme pratiquement terminée. Elle ne l’est pas: en sept ans, jamais encore les combats n’avaient provoqué un pareil exode de population. En quatre mois, c’est presque un million de Syriens supplémentaires qui ont été déplacés dans le nord du pays. «Nous sommes à un point de rupture», constatait lundi à Genève le coordinateur de l’aide humanitaire de l’ONU pour la Syrie, Panos Moumtzis.
Depuis le début de la guerre en 2011, plus de 5 millions et demi de Syriens ont fui leur pays, pour se réfugier principalement dans les Etats voisins. Mais à ceux-là s’ajoutent, selon les chiffres de l’ONU, 6,2 millions de déplacés internes. Tandis que la Turquie, la Jordanie, le Liban ainsi que les pays occidentaux ont verrouillé leurs frontières, ces cohortes de déplacés internes se sont encore accrues de plus de 920000 personnes au cours des quatre premiers mois de l’année, un chiffre sans précédent. «Nous n’avons peut-être pas encore vu le pire de la crise», confiait Panos Moumtzis.
A l’origine de ce nouvel afflux? Le bombardement acharné de la Ghouta orientale, aux abords de la capitale Damas, qui s’était achevé par l’utilisation d’armes chimiques de la part du régime syrien et d’une action de représailles menée par les Etats-Unis et la France. Mais aussi, plus au nord, la prise par l’armée turque et ses alliés de l’enclave kurde d’Afrine, en mars dernier.
Concentrés à Idlib
L’essentiel de cette population a convergé vers la province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, à la frontière turque. Aujourd’hui, des quelque 2,5 millions de personnes qui vivent ou survivent dans la province, près de la moitié sont des déplacés internes. Or, les bombardements commencent aussi à s’intensifier dans les parties rurales de la province, provoquant de nouvelles fuites en masse. La semaine dernière, c’étaient au moins 47 civils qui étaient tués par l’aviation russe dans le village de Zardana, amenant le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à réclamer une enquête sur le bombardement. Selon les témoins, l’attaque russe a eu lieu en deux temps, la deuxième salve visant délibérément les sauveteurs qui venaient soigner les premières victimes. Comme le rappelait le chef de l’ONU, Idlib est incluse dans les accords de «désescalade» conclus entre les parties, et dont l’un des garants est précisément la Russie.
«Nous craignons de voir à Idlib se dérouler un scénario comparable à celui de la Ghouta orientale», expliquait lundi Panos Moumtzis. Un scénario qui a aussi été récemment mis en avant par Staffan de Mistura. L’envoyé spécial de l’ONU évoquait une tragédie de la Ghouta dont l’ampleur serait multipliée par six. Et, précisait-il, ces déplacés n’auront «nulle part où aller, parce qu’il ne reste aucun endroit où aller».
Jusqu’ici, même si l’ONU n’a pas été officiellement partie prenante à l’exercice, ses responsables se sont félicités de la conclusion de «trêves locales» (lire: de redditions de l’opposition armée), en semblant sous-estimer son corollaire: la concentration des déplacés, c’est-à-dire des combattants et de leur famille mais aussi de nombreux civils, dans la province d’Idlib, qui est aujourd’hui principalement aux mains des groupes extrémistes.
Dans sa même déclaration devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le mois dernier, Staffan de Mistura se disait encore convaincu de pouvoir réactiver l’existence de zones de «désescalade». Selon Panos Moumtzis, pourtant, il faut ajouter aujourd’hui aux bombardements les combats de plus en plus violents entre les groupes rivaux, qui ont été amenés à Idlib des quatre coins de la Syrie. Pour les deux millions de Syriens qui s’entassent dans cette province, «c’est une combinaison explosive», résumait le responsable de l’ONU.
■
«Nous sommes à un point de rupture»
ANOS MOUMTZIS, COORDINATEUR DE L’AIDE HUMANITAIRE DE L’ONU