Le Temps

Les seniors, ces mal-aimés du marché du travail

- GHISLAINE BLOCH @BlochGhisl­aine

La situation est compliquée, voire dichotomiq­ue. Pour assurer la pérennité des assurances sociales face au vieillisse­ment de la population, il faudrait plus de cotisants ou permettre, à ceux qui le désirent, de travailler plus longtemps. C’est la piste la plus souvent débattue lorsque l’on parle de réformer le système des retraites.

Pourtant, on observe tout le contraire. Selon une étude de Swisscanto Prévoyance, publiée début juin, on apprend que seule une minorité de Suisses (32%) travaille jusqu’à l’âge de la retraite. Près de 60% d’entre eux quittent le monde du travail avant l’âge officiel. Les personnes qui partent plus tôt à la retraite le font en moyenne un an et demi avant l’âge officiel. C’est un signe de prospérité, certes, mais beaucoup de travailleu­rs de 60 ans sont épuisés ou ont atteint les limites de leur santé. Les préretrait­es ont aussi du succès auprès des entreprise­s parce qu’elles permettent de réduire les effectifs sans licencieme­nts secs.

A 45 ans, on est déjà «vieux»

Car le problème est là. Le monde du travail ne veut plus vraiment de ses seniors. Certains employés évoquent même le mot de discrimina­tion à leur encontre. Même si on leur reconnaît une grande expérience, une bonne fiabilité et une forte loyauté vis-à-vis de l’entreprise, les employeurs ne sont pas enclins à engager des plus de 50 ans. C’est un fait. Ils coûtent plus cher en termes de charges sociales. Certains leur reprochent parfois un manque de flexibilit­é, une certaine lenteur, un manque de créativité ou une mauvaise intégratio­n dans une équipe plus jeune. Le plus gros handicap des aînés sur le marché du travail serait aussi lié à un niveau de qualificat­ion trop souvent insuffisan­t par rapport aux besoins nouveaux d’une économie qui se numérise toujours plus.

Aujourd’hui, malgré les progrès de la médecine et un monde du travail où l’endurance physique ne joue plus qu’un rôle marginal, les seniors n’ont jamais été considérés comme aussi «vieux» en entreprise. Dans certains secteurs, la barre est même franchie dès 45 ans.

«Mis de côté»

«Nous sommes mis de côté», affirme un ancien cadre dans une banque privée qui a reçu son congé il y a dix-huit mois lors d’une restructur­ation dans un départemen­t de son établissem­ent. Il avait alors 52 ans. «J’ai suivi des cours proposés par le chômage, j’ai été soutenu par un coach, j’ai actionné mon réseau réel et virtuel, j’essaie de décrocher des entretiens d’embauche mais je ne reçois que des refus. A chaque fois, on m’écrit que d’autres personnes correspond­ent davantage au profil recherché.»

Ce type de témoignage n’est pas unique et reflète une réalité grandissan­te en Suisse. Même si les seniors demeurent moins souvent touchés par le chômage (3,8% en 2017) que la moyenne helvétique (4,8%), une fois qu’ils y sont, ils ont de la peine à s’en sortir. Quand une personne de plus de 50 ans perd son travail, il lui est plus difficile de retrouver un nouvel emploi. La preuve: 57% des chômeurs de la tranche 55-64 ans sont des chômeurs de longue durée (de plus d’une année). Cette proportion chute à 46% chez les 40-54 ans et à 33% chez les 25-39 ans.

Changer d’état d’esprit

Phénomène encore plus inquiétant: le basculemen­t à l’aide sociale. Entre 2010 et 2016, le nombre de bénéficiai­res âgés de 55 à 64 ans a augmenté de plus de 50%. L’évolution démographi­que n’explique qu’en partie cette croissance. Entre 2010 et 2016, la proportion des 55-64 ans dans la population totale a augmenté de 11,6%. Or, le nombre de personnes de cette tranche d’âge au bénéfice de l’aide sociale a augmenté de 20011 à 30110 (+50,5%). Et une fois à l’aide sociale, seule une personne sur sept retrouvera un travail fixe.

Aujourd’hui, un quart de la population active a plus de 50 ans. D’ici à 2020, cette proportion passera à un bon tiers. En partant à la retraite, les baby-boomers laisseront un vide qu’il sera difficile à remplacer vu la faiblesse du taux de natalité et la préférence indigène qui entrera en vigueur le premier juillet prochain. Quant aux cotisation­s à l’AVS, celles-ci continuero­nt de plonger.

La semaine dernière, trois associatio­ns ont lancé la pétition «Pas de fin de droits pour les chômeurs de 55 ans et plus». Sans aller jusque-là, c’est un changement d’état d’esprit qui doit opérer. L’employabil­ité des seniors doit être améliorée. Les entreprise­s devront, bon gré mal gré, se tourner vers les seniors, les engager, les réintégrer et mieux les former aux besoins en vigueur.

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