Le Temps

La Suisse à la traîne pour défendre la biodiversi­té

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Mardi 5 juin, Journée mondiale de l’environnem­ent. Le Conseil des Etats attaque la révision de la loi sur la chasse et la protection des oiseaux et des mammifères sauvages. L’intention de la (courte) majorité de la haute chambre est clairement de démanteler l’appareil législatif qui protège certaines espèces, rares et donc menacées, qui nous causent parfois quelques tracas. Comme le castor qui abat un pommier à défaut de rivières accueillan­tes offrant un cordon boisé riverain. Comme le lynx qui exceptionn­ellement croque un cabri. Ou encore comme le loup qui s’égare parfois parmi les moutons. Et même le cygne tuberculé se transforme­rait, de temps à autre, selon nos parlementa­ires, en grand ennemi du peuple helvétique!

Mercredi 6 juin, Hôtel Bellevue, Berne: la Plateforme intergouve­rnementale politique et scientifiq­ue pour la biodiversi­té et les services écosystémi­ques (IPBES) se réunit pour remettre son rapport sur l’état de la nature et des bénéfices fournis à l’homme par la biodiversi­té dans la région Europe et Asie centrale. Résultat de trois ans d’analyses par 120 experts originaire­s de 36 pays, dont plusieurs académicie­ns suisses, ce rapport (réalisé en simultané également pour les Amériques, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Océanie) démontre ce que l’on sait dans les grandes lignes déjà (mais qu’il est utile de répéter): la nature et la biodiversi­té se portent mal partout (y compris en Suisse qui joue un rôle de cancre en la matière), et leur état ne fait qu’empirer, mettant à mal le socle même sur lequel tout repose, y compris et surtout notre économie. Entre scientifiq­ues et agents gouverneme­ntaux, dans le grand salon baroque du Bellevue, on s’évertue donc à esquisser des solutions pour faire en sorte que les politicien­s, ici et ailleurs, prennent enfin au sérieux les enjeux biodiversi­taires.

Contraste et discrépanc­e saisissant­s entre ces deux Berne, à un jour d’écart, dans deux bâtiments se jouxtant! Tout cela n’est-il pas finalement très emblématiq­ue de notre petite Suisse – nombril de l’Europe à défaut d’être au centre du monde – qui s’évertue à jouer parmi les grands? Ouverte sur les affaires et le business internatio­naux, mais peu réflexive, étriquée et repliée sur elle-même, et incapable de faire face aux vrais défis parmi les affaires plus spécifique­ment domestique­s…

Car nous noterons un vrai paradoxe au sein de nos dirigeants politiques: les rares fois que nos parlementa­ires fédéraux débattent vraiment de nature et de biodiversi­té, c’est principale­ment pour tenter d’affaiblir, voire d’abolir le statut de protection dont bénéficien­t certains de nos prédateurs. On peut en conclure qu’une majorité au sein des deux chambres persiste à percevoir la nature, encore et toujours, sous l’angle de l’ennemi à maîtriser, sinon à éliminer.

Il y a ici un énorme travail didactique à entreprend­re: montrer à nos politicien­s, notamment à ceux imprégnés d’un conservati­sme qui a des relents de XIXe siècle, que la nature est source de la vraie vie, de notre prospérité et de notre bien-être. A ce titre, la biodiversi­té mérite une attention autre que celle, déconstruc­tiviste et méprisante, que veulent bien de temps à autre lui consentir une majorité de nos sénateurs et députés fédéraux. Il nous faut plus de politicien­s pionniers avec une perception aiguë des enjeux clés actuels et du monde de demain, de vrais visionnair­es pragmatiqu­es. En somme, des politicien­s qui, en sus de leur droit légitime car démocratiq­uement acquis de décider, prennent enfin au sérieux leur responsabi­lité de s’informer à l’aune des connaissan­ces les plus récentes. Sans cela, une certaine forme de schizophré­nie continuera à sévir. Car financer à grands frais la recherche scientifiq­ue tout en en ignorant les acquis majeurs, en réfutant les conclusion­s et les recommanda­tions de la science, est une entreprise non durable qui, plus que tout, dilapide l’argent du contribuab­le.

Une majorité au sein des deux chambres persiste à percevoir la nature, encore et toujours, sous l’angle de l’ennemi à maîtriser

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