Iran et Corée du Nord: deux poids, deux mesures
Le meilleur modèle pour garantir une péninsule coréenne dénucléarisée? C’est l’accord conclu avec l’Iran. Ce même accord que le président américain a déchiré avec fracas
Donald Trump avait lui-même fait monter les enchères. Avant de déchirer, il y a un mois, l’accord sur le nucléaire iranien, ne l’avait-il pas qualifié d’«horrible», de «désastreux», du «pire des accords» jamais conclus? La réaction à Téhéran, mardi, face à la promesse du président américain et de Kim Jong-un d’une «dénucléarisation de la péninsule coréenne» était à la mesure. Il appelait Pyongyang à la prudence: «Nous ne savons pas avec quel genre de personne le leader nord-coréen a négocié, disait un porte-parole du gouvernement iranien. Il [Donald Trump] pourrait annuler l’accord avant même de rentrer à la maison.»
«Plus qu’un accord, le texte de Sentosa est surtout une déclaration d’intention dont la portée semble bien modeste», nuance Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. Le terme «dénucléarisation» a été dépouillé des deux adjectifs qui, jusqu’ici, l’accompagnaient invariablement dans les déclarations des responsables de l’administration américaine, soit «vérifiable» et «irréversible». «La formule [de l’accord] devient par conséquent totalement creuse. Elle est à ce point vague que, au-delà d’une éventuelle période de retenue, on ne voit pas très bien ce que cet accord peut changer.»
Le suivi de l’accord
S’il s’agissait de rendre effective la «dénucléarisation» de la péninsule coréenne, il faudrait faire entrer en jeu des objectifs clairs, un système de contrôle international et des visites d’inspecteurs, entamer une négociation où chacun y trouverait son compte sous un mécanisme de garanties internationales. «Le meilleur modèle? C’est l’Iran», ironisait récemment Antony Blinken, sous-secrétaire d’Etat dans l’administration de Barack Obama, qui contribua à ce titre à la conclusion de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien. Quelle que soit en réalité la suite de l’accord de Sentosa, une chose est claire: alors que, selon la célèbre formule utilisée à l’époque par le président George Bush, l’Iran partageait avec la Corée du Nord et l’Irak de Saddam Hussein le statut de membre de plein droit de l’«Axe du mal», les sourires et les amabilités déployés à Singapour semblent démontrer que la Corée du Nord en est pour l’instant sortie. Le risque, pour l’Iran, est de représenter désormais le seul mouton noir en matière nucléaire aux yeux de l’administration américaine.
«De manière générale, les Etats-Unis ont montré moins d’animosité à l’égard de la Corée du Nord qu’à l’égard de l’Iran depuis la révolution islamique de 1979, note Benjamin Hautecouverture. L’approche envers Pyongyang a été d’ordinaire plus constructive et plus suivie, tandis que les relations avec Téhéran semblent tenir davantage d’un accès de fixation.»
Deux cas différents
Aux Etats-Unis, les défenseurs de la ligne suivie par Donald Trump mettent en avant la nécessité de distinguer les deux cas. D’un côté, la Corée du Nord est proche de puissances importantes – la Chine, le Japon, la Russie – qui rendent peu probable un possible dérapage nucléaire du régime de Pyongyang. Tandis que de l’autre côté, face à l’Iran, s’ajoutent à la présence de l’allié israélien des régimes peu fiables (aux yeux des Américains), ainsi qu’une possible surenchère nucléaire de la part notamment de l’Arabie saoudite. «L’Iran est bien plus inquiétant. Sa volonté d’expansion dans la région serait encore plus difficile à contenir s’il disposait de la capacité nucléaire», note ainsi Daryl Kimball, du Arms Control Association, à Washington.
Cette justification de ce qui semble bien constituer un «deux poids, deux mesures» de la part du président Trump laisse pourtant dans l’ombre une autre dimension: tandis que l’Iran, grâce en partie à l’accord de 2015, ne s’est pas doté d’une bombe atomique, la Corée du Nord, elle, a acquis le statut d’une puissance nucléaire. Est-ce la raison des égards déployés par Donald Trump? «Il y a bien une prime à la capacité nucléaire, concède Benjamin Hautecouverture. La détermination de la Corée du Nord à poursuivre son programme nucléaire a été sans faille, et elle a payé. Les Iraniens doivent se mordre les doigts aujourd’hui de ne pas avoir montré cette même détermination.»
Pour le chercheur, il est désormais hors de question que d’autres puissances nucléaires comme la Chine et la Russie (sans même parler d’Israël) laissent l’Iran reprendre la course à l’armement nucléaire. En revanche, la soudaine entrée en grâce de la Corée du Nord auprès du président américain pourrait annoncer une possible normalisation progressive des relations avec Pyongyang et signifier, en quelque sorte, une banalisation de son statut de puissance nucléaire. «Ce régime, qui reste très liberticide, continuerait de bénéficier ainsi de la garantie que lui procure l’arme nucléaire. C’est le pire des scénarios possibles», conclut Benjamin Hautecouverture.
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