«Seven», porte-voix des héros au féminin
Depuis dix ans, une pièce de théâtre documentaire partage les courageux combats de sept femmes à travers le monde, touchant grand public et hautes sphères politiques. Jeudi, elle s’invite à l’ONU pour une soirée tout en symboles
En 2002, Mukhtar Mai, jeune Pakistanaise de 28 ans, est violée par une dizaine d’hommes qui la forcent ensuite à se promener nue dans les rues de son village du Pendjab, dans l’est du pays. Un acte de représailles à la suite du «crime d’honneur» qu’aurait commis son jeune frère, accusé d’avoir entretenu une liaison avec une femme d’un clan rival.
Déshonorée et détruite, Mukhtar Mai décide pourtant de poursuivre ses agresseurs en justice. Un cas rarissime, d’autant que la jeune femme est illettrée et la justice pakistanaise réputée lente et corrompue. Celle-ci ne donnera d’ailleurs pas raison à Mukhtar Mai et, après des années de procédure, acquittera ses bourreaux. Celle qui est devenue le symbole de la résistance continue malgré tout de se battre pour les autres victimes de violence et pour faire entendre leur voix.
Une voix qui a depuis voyagé et résonné dans plus de 40 pays, et dans presque autant de langues, grâce au projet Seven. Créée en 2007 par un groupe d’auteurs américains, cette pièce de théâtre documentaire met en lumière les témoignages de sept femmes à travers le monde qui ont, comme Mukhtar Mai, fait le choix de défendre leurs droits.
«Emotions brutes»
Il y a Mu Sochua, dont les parents ont été tués par les Khmers rouges et qui incarne aujourd’hui une figure de proue féminine de la politique cambodgienne, faisant du trafic d’êtres humains son cheval de bataille. Ou Hafsat Abiola, qui développe au Niger des programmes pour encourager les femmes à devenir actrices du changement. Ou encore l’activiste russe Marina Pisklakova qui, après avoir vu la mère d’un camarade de classe de son fils le visage couvert de bleus, s’est engagée à combattre les violences domestiques en créant une hotline et des centres de crise. Malgré les menaces dont elle est régulièrement victime.
Ces multiples récits, sous la forme d’extraits d’entretiens entre auteurs et militantes, prennent vie sur scène pour une performance saisissante et inspirante. Une manière d’humaniser la problématique du droit des femmes, qui reste encore trop souvent abstraite et désincarnée.
«Le but est moins de décrire des faits que la lutte menée par une personne en particulier. C’est à travers les émotions brutes générées par ces histoires, et non une série de statistiques, qu’on appelle à la compassion», souligne Ida Granqvist, directrice exécutive de Voices, le collectif suédois à l’origine du concept et de la mise en scène de Seven. Une pièce en tournée depuis près de dix ans et qui a fait des émules, séduisant autant Meryl Streep qu’Hillary Clinton, convaincues par les valeurs de courage et d’engagement qu’elle véhicule.
D’autant que ces textes ne sont pas déclamés par des acteurs mais par des personnes influentes dans le pays où se déroule la performance ce soir-là. «Au-delà des barrières culturelles, cela permet d’ancrer la problématique au niveau local, explique Ida Granqvist. En Serbie par exemple, la pièce a servi de point de départ pour une discussion entre les autorités, la police et le service hospitalier au sujet des violences domestiques.»
«Se remettre en question»
Pour la première fois, Seven s’invitera cette semaine à Genève sur invitation du Centre de politique de sécurité (GCSP), fondation qui promeut le maintien de la paix et de la sécurité internationale. En guise de théâtre, l’imposante salle des Assemblées, au coeur des Nations unies. Un lieu qui évoque plutôt les lectures de résolutions pointues que les intermèdes culturels.
«Justement: pour être plus efficaces, nous devons apprendre à mieux communiquer autour de ces thématiques en faisant appel au storytelling plutôt qu’au jargon académique», note Fleur Heyworth, responsable du Groupe de genre et de sécurité inclusive au sein du GCSP et instigatrice de l’événement. Seven s’adresse donc autant au grand public qu’aux membres de l’organisation internationale. «Ces témoignages nous permettent de ne pas perdre de vue pourquoi et pour qui nous travaillons», ajoute Fleur Heyworth, qui rappelle que «l’ONU n’est pas imperméable aux problèmes de harcèlement et doit profiter de l’occasion pour se remettre en question.»
Sans surprise, la liste des orateurs compte plusieurs pointures du monde diplomatique, mais aussi la chancelière Anja Wyden Guelpa. Un casting relativement classique pour Seven, qui a déjà accueilli dans ses rangs des hauts responsables de l’armée américaine… et un mannequin de Victoria Secret.
■
Les textes ne sont pas déclamés par des acteurs mais par des personnes influentes dans le pays où se déroule la performance