L’évangile du pape François selon saint Wim
Tout en flirtant dangereusement avec l’hagiographie, le réalisateur allemand livre un documentaire intéressant dans son parti pris de faire de Jorge Mario Bergoglio un humaniste plutôt qu’un leader religieux
21 juin, c’est la Fête de la musique. Mais ce jour-là, deux mois après avoir accueilli 22000 fans lors de la grand-messe rock donnée par Metallica, les halles de Palexpo ne seront pas transformées en salle de concert géante. C’est même une vraie messe qui y sera célébrée, et pas par le premier venu: le pape François, 266e souverain pontife de l’Eglise catholique, sera à Genève… face à 41000 fidèles! Le gang à James Hetfield se la joue petit bras, en comparaison.
Jorge Mario Bergoglio, élu pape le 13 mars 2013, serait donc une star. L’ancien cardinal et archevêque de Buenos Aires semble en effet avoir su rassembler de manière bien plus large que ses prédécesseurs Jean Paul II et Benoît XVI. Probablement parce qu’il est porteur d’un message humaniste autant que religieux. C’est en tout cas ce qui ressort du documentaire que lui consacre Wim Wenders, Le pape François – Un homme de parole. Le film s’ouvre d’ailleurs non pas sur un texte religieux, mais sur un message écologique, lu en voix off par le réalisateur allemand: 150 espèces disparaissent chaque jour à cause de nos actions.
La promesse d’un nom
Pour Wenders, François est intéressant parce qu’il est le premier pape issu du continent latino-américain et le premier jésuite, mais aussi le premier à s’être choisi comme nom celui de saint François d’Assise (1181-1226), «un des saints catholiques les plus révérés, un réformateur qui a dédié sa vie à soulager les pauvres et éprouvait un profond amour pour la nature et toutes les créatures de la Terre, qu’il considérait comme la mère suprême». Le simple nom de François constituait ainsi une promesse, une piste à creuser.
Le documentaire dresse ainsi des parallèles entre le parcours de François d’Assise et Bergoglio. Wenders a même tourné, en noir et blanc, quelques vignettes illustrant le parcours d’un saint dont la vie a déjà été portée à l’écran par Roberto Rossellini (Les onze Fioretti de François d’Assise, 1950), Michael Curtiz (François d’Assise, 1961), Franco Zeffirelli (François et le chemin du soleil, 1972) et Liliana Cavani (Francesco, 1989, avec Mickey Rourke dans le rôle-titre). Mais il s’agit là de la partie la plus maladroite de son film, qui aurait gagné à n’être qu’une brève introduction. Car l’intérêt premier du long métrage réside dans les quatre longues interviews filmées du pape, assorties de nombreuses images d’archives le montrant en train de parcourir le monde pour y porter des messages de paix et d’espoir.
Au Congrès américain
Un homme de parole est un film de commande: Wenders s’est vu, fin 2013, proposer sa réalisation par le Vatican, assortie d’un accès libre aux archives et d’une liberté totale sur le montage final. Alors, porté par cette marque de confiance et le charisme du pape, le cinéaste n’a visiblement pas cherché à dénicher de contradictions dans les actes et déclarations de l’Argentin. Mais dans le fond, y en a-t-il? A écouter cet homme qui a décidé de vivre humblement et cherche à alerter l’opinion publique sur des questions tant sociales que géopolitiques et environnementales, on se dit que non. Le voir au Congrès américain dénoncer le marché des armes est une image forte, d’autant plus lorsqu’on se souvient des déclarations pour le moins hasardeuses de Jean Paul II et de Benoît XVI, notamment sur le sida.
François prône le sens de l’humour comme exercice à pratiquer au quotidien, il aspire à une paix immarcescible entre les grandes religions monothéistes. Il dit que Jésus a le même amour pour les croyants que pour les athées, et que d’ailleurs on est libre de ne pas l’aimer. Le respect et la tolérance avant le prosélytisme. Tout en flirtant avec l’hagiographie, et sans révolutionner l’art du montage documentaire, Wenders livre un film qui a le mérite de résumer en moins de cent minutes l’engagement d’un homme finalement plus médiatisé que véritablement écouté. Mais tout être humain ayant sa part d’ombre, on aurait voulu pouvoir apercevoir celle de Bergoglio.
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L’intérêt premier du film réside dans les quatre longues interviews du pape de Wim Wenders (Italie, Vatican, Suisse, Allemagne, France, 2018), 1h36.