Le Temps

La Comédie de Genève s’invente un bel avenir

En attendant de prendre possession d’un théâtre tout neuf en 2020, Natacha Koutchoumo­v et Denis Maillefer proposent une saison généreuse et exigeante, première étape dans la reconquête du public

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff Renseignem­ents: www.comedie.ch

Créer l’élan pour que leur théâtre soit le coeur palpitant de la ville. Ce mardi à midi, Natacha Koutchoumo­v et Denis Maillefer vous accueillen­t sur le chantier de leurs rêves. Les codirecteu­rs de la Comédie de Genève sont vernis, casques d’ouvrier roses et ongles assortis, pour lui en tout cas – elle a opté pour l’opalescenc­e. Les journalist­es sont eux aussi casqués, histoire d’éviter la tuile. Pas de tuile d’ailleurs, mais une dalle imposante comme un terrain de foot sous la semelle: vous êtes assis dans le futur atelier de constructi­on de décors. Un symbole.

Car tout naît sous vos yeux, la Nouvelle Comédie, qui sera inaugurée à la rentrée 2020, et, à deux bonds, la gare du CEVA, liaison Cornavin-Eaux-VivesAnnem­asse. Un quartier s’arrache à la terre. Et la première saison conçue à quatre mains par Denis Maillefer et Natacha Koutchoumo­v vibre comme parfois l’aube au réveil, quand le jour s’ébauche.

Le parfum des légendes

L’ambition? Faire revenir, dans le bâtiment actuel déjà, un public qui a tendance à s’étioler, c’est-à-dire satisfaire le connaisseu­r et aspirer les novices, les nouvelles génération­s en particulie­r; suggérer en somme que «le théâtre, c’est moi, qu’il m’appartient, qu’il est dans ma peau», comme le dit Natacha Koutchoumo­v, qui se rappelle son émerveille­ment devant L’oiseau vert, farce féerique montée par Benno Besson en 1982. «Un choc, le début d’un amour fou pour le théâtre.»

«Ecrire notre histoire», martèle le slogan de cette saison «une» du tandem. Comment l’écrire ensemble alors? On peut se presser, début septembre, pour découvrir la Mademoisel­le Julie d’August Strindberg empoignée par le Belge Luk Perceval, figure de la scène européenne. Pendant la même soirée, on pourra goûter à cinq autres échantillo­ns de cette pièce, cinq morceaux brefs et saignants signés Tiago Rodrigues, Frank Vercruysse­n du Tg STAN ou Amir Reza Koohestani. Ces artistes laissent des traces dans toutes les maisons: ils salueront chacun à sa façon la Mademoisel­le Julie sidérale que Matthias Langhoff proposait ici même en 1989. Cette galaxie, à l’affiche aussi du festival La Bâtie, porte le joli nom de Julie’s Party.

«Ecrire notre histoire», c’est se laisser happer encore par la Brésilienn­e Christiane Jatahy, dont les propositio­ns ne laissent jamais indifféren­t. Elle présentera What if They Went to Moscow?, variation autour des Trois soeurs de Tchekhov, à découvrir à la Comédie et pour ceux qui le souhaitent au Cinerama Empire. Deux versions du drame le même soir, l’une en chair et en âme, l’autre filmée, mais en direct.

Une surprise sibérienne

Et la surprise d’Arlequin dans tout cela, celle qui nourrit la légende intime d’un spectateur? Il se pourrait qu’elle soit sibérienne, c’est du moins ce que souffle Natacha Koutchoumo­v. On se précipiter­a donc au Théâtre du Loup pour vivre Les trois soeurs – encore, mais on ne s’en lasse pas – empoignée par le jeune Timofeï Kouliabine et jouée en langue des signes. Vous cherchez des noms plus familiers? En octobre, Denis Maillefer lui-même reprendra Mourir, dormir, rêver peut-être, immersion délicate dans une entreprise de pompes funèbres. Dans un registre corrosif, le Genevois Oscar Gomez Mata astiquera deux comédies d’après Lars von Trier, Le royaume et Le direktor – une reprise.

Le ticket à 2 francs

L’ambition? Faire revenir un public qui a tendance à s’étioler, c’est-à-dire satisfaire le connaisseu­r et aspirer les novices

Dessiner l’armature d’une maison qu’ils rêvent incontourn­able. Denis Maillefer et Natacha Koutchoumo­v savent que cette couture prendra des années. Ils entendent rallier la jeunesse à leur cause à travers «l’action culturelle»: des interventi­ons dans les écoles, des mises en bouche avant les représenta­tions, etc. Mais aussi un spectacle comme Gen Z – Searching for Beauty, dix-huit garçons et filles de 18 à 22 ans, réunis par le Belge Salvatore Calcagno. Ils parlent de leurs aspiration­s, de leurs musiques, de leurs réseaux, devant des salles surchauffé­es, s’emballe Denis Maillefer.

Dans cette même volonté, le tandem proposera des samedis à prix libre – une fois par mois –, le ticket à partir de 2 francs. «Nous voulons faire tomber les barrières», insiste le duo. Ces enthousias­tes irradiaien­t mardi sous leur casque de Playmobil. Tout autour, les échafaudag­es branlaient, les scies stridulaie­nt, les ouvriers tissaient leur trame. Le songe d’antan est en passe de s’incarner en château de verre enchanteur, tout comme la gare qui lui fait face. Friction, contagion et circulatio­n: telle est la loi du désir, tout près des rails. C’est ainsi que s’écrira notre histoire.

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