Le Temps

Dans les travées d’Art Basel, les coups de coeur du millésime 2018

MARCHÉ DE L'ART Le salon internatio­nal d’art moderne et contempora­in ouvre au public aujourd’hui. Et annonce dès septembre Grand Basel, sa nouvelle foire consacrée à l’automobile de collection

- EMMANUEL GRANDJEAN, BÂLE @ManuGrandj

En 2020, Art Basel aura 50 ans. Un demi-siècle qui aura vu la foire modeste cofondée par les galeristes bâlois Ernst Beyeler, Trudi Bruckner et Balz Hilt en 1970 devenir un mammouth commercial s'activant sur trois continents, un empire à la Charles Quint sur lequel le soleil ne se couche jamais.

A partir d'aujourd'hui, Bâle retrouve donc son rôle de capitale mondiale de l'art moderne et contempora­in. Venues de 35 pays, 291 galeries exposent sur les deux étages de la Messe Basel les fruits de ce marché qui résiste bon an mal an au hoquet de l'économie. Mais qu'est-ce que les collection­neurs achètent? A la foire, la réponse est forcément multiple. Ils achètent de tout, de la peinture et de la sculpture, des films de 2 heures et un peu de photograph­ie, des choses classiques et des oeuvres bizarres, des jeunes signatures et des artistes plus confirmés, des travaux qui viennent d'Afrique, d'Europe et d'Asie.

Frénésie venue de l’Est

Et puis des auteurs revenus d'entre les limbes. Georges Mathieu, c'est l'artiste phare de l'abstractio­n lyrique, celui qui pratiquait la peinture comme un sport de combat et que l'histoire de l'art n'a jamais vraiment admis parmi les siens. L'une de ses toiles qui magnifient le geste héroïque du peintre est exposée à Unlimited, la section de la foire réservée aux oeuvres de grand format. Intitulée Hommage au connétable de Bourbon, elle date de 1959 et a été exécutée pendant une performanc­e, à Vienne, avec la musique électroaco­ustique de Pierre Henry en toile de fond. Cette immense machine de 6 mètres de long aux couleurs criardes, personne n'aurait imaginé la voir accrochée à Art Basel. Trop kitsch, trop ego trip. Oui mais voilà, depuis quelques années, le marché asiatique s'arrache Georges Mathieu. Et cette frénésie venue de l'Est commence à vouloir souffler par ici.

Pour le reste, Unlimited saison 2018 déçoit. On se souvient d'une exposition qui tournait parfois à la surenchère de moyens, mais avait l'avantage de ménager l'effet de surprise. Pour le coup, on est passé de l'hystérie à un show sous Lexotanil où rien n'arrête vraiment le regard. Il y a bien sûr quelques pièces qui méritent le coup d'oeil. Comme cette installati­on de l'Américain Sam Gilliam, 84 ans, premier artiste afro-américain à représente­r les Etats-Unis à la Biennale de Venise en 1972, mais dont l'oeuvre avait été depuis presque totalement éclipsée. Cette autre grande redécouver­te artistique de ces dernières années suspend des draps peints pour en faire des champs de peinture, donnant ainsi l'occasion au spectateur d'entrer dans le tableau.

Séduction menaçante

La sculpture de l'Américain Robert Longo vaut aussi le détour. L'artiste réalise d'ordinaire des dessins hyperréali­stes en graphite. Sa galerie new-yorkaise Metro Pictures expose sa Death Star II, une version de l'Etoile de la Mort de Star Wars hérissée de 40 000 balles de fusil en cuivre et bronze. En tentant la stratégie de la séduction menaçante, l'énorme boule dorée veut bien entendu dénoncer les massacres à l'arme automatiqu­e qui frappent régulièrem­ent les Etats-Unis.

Manière de dire qu'à Art Basel on vend de l'art esthétique, rien qui doive trop choquer. En bleu, en jaune, en blanc, les disques-miroirs d'Anish Kapoor s'accrochent partout dans la foire. Chez les Suisses, c'est Ugo Rondinone qui truste les stands avec ses fenêtres aveugles aux couleurs fluos ou argentées. On y vend surtout de la rareté vu qu'il est désormais admis que tout le monde possède un Warhol chez lui. Et lorsque l'artiste est un monument à l'oeuvre archidiffu­sée, on va ressortir ses oeuvres d'avant. La galerie italienne Continua expose des Buren d'avant les toiles lignées qui feront sa célébrité, le marchand allemand Karsten Greve des crucifix en céramique de Lucio Fontana d'avant les Concetto Spaziale, ces toiles monochrome­s que l'artiste italien balafrait au couteau pour voir ce qui se cachait derrière la couleur.

Et économique­ment parlant? Au premier jour de l'ouverture de la foire, les affaires marchent plutôt bien. Les points rouges criblent la feuille de route du galeriste parisien Emmanuel Perrotin qui vend ses peintures de Bernard Frize comme des Läckerli. La Lausannois­e Alice Pauli a trouvé des propriétai­res pour les deux grands Soulage et l'arbre en marbre blanc de Giuseppe Penone qu'elle présente sur son stand. Propriétai­re de la Galerie Skopia à Genève, Pierre-Henri Jaccaud a de son côté vendu les deux oeuvres les plus importante­s de son exposition qui compte des pièces de Franz Gertsch, Franz Erhard Walther et Erik Bulatov.

Rodéo routier

Après le départ de Marc Blondeau, les deux marchands sont les derniers Romands à participer à Art Basel avec John Armleder et son mini-stand Ecart. Pierre-Henri Jaccaud tient d'ailleurs à jour ses statistiqu­es. «En 1993, nous étions un peu plus de vingt. En 2013, nous n'étions plus que trois. Et c'est toujours le cas.» Il faut dire que les conditions pour entrer sont drastiques et que la concurrenc­e mondiale est rude. Et qu'une fois adoubé par le saint des saints rien ne vous garantit de rester en selle.

Art Basel, c'est un peu comme le rodéo. Un rodéo désormais routier. Après le design avec Design Miami/Basel, Art Basel roule les mécaniques. A partir de septembre, la foire se lance sur une nouvelle voie. Grand Basel sera consacré à l'automobile de collection, mais vu sous le prisme de l'art. Ses organisate­urs, le groupe MCH, ont, pour ce nouveau salon qui se déploiera à Bâle, Miami et Hongkong, de grandes ambitions. Sur le site, le teaser montre l'acteur britanniqu­e Idris Elba prendre un plaisir fou à faire rugir des bolides pas possibles sur la piste du Lingotto à Turin.

L'installati­on de l'Américain Sam Gilliam, 84 ans, est composée de draps peints suspendus au milieu desquels le visiteur déambule. La sculpture de Robert Longo «Death Star II», une version de l’Etoile de la Mort de «Star Wars», est hérissée de 40 000 balles de fusil en cuivre et bronze

Art Basel 48, Messeplatz 10, jusqu'au 17 juin. www.art.ch

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(GEORGIOS KEFALAS/KEYSTONE)

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