Le Temps

Diplomatie Macron, l’heure de vérité a sonné

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Un cliché pris sur le vif ne trahit qu'un moment fugace de vérité. Celui de la poignée de main entre Emmanuel Macron et Donald Trump, au G7 québécois de Charlevoix, était toutefois très éloquent. Il s'agissait, rappelons-le, de mesurer la fermeté de l'étreinte mutuelle. Qui, entre le locataire de la Maison-Blanche et celui de l'Elysée, parviendra­it à dominer ce vrai-faux bras de fer entre virils chefs d'Etat? Avantage Emmanuel Macron, ont aussitôt commenté les internaute­s français, en zoomant sur la marque du pouce présidenti­el laissée au dos de la main trumpienne. Jusqu'à ce qu'un journalist­e américain en rigole, quelques heures plus tard, sur un plateau de télévision: «Le pouce de Macron a bien laissé une trace visible. Pour une poignée de secondes…»

Ainsi va, donc, la diplomatie «jupitérien­ne». Sur la forme, tout y est. Ton solennel. Rappel des règles multilatér­ales en vigueur. Promesse de poursuivre les Etats-Unis devant l'Organisati­on mondiale du commerce après les hausses de tarif sur l'acier européen. Soutien public et sans faille apporté à l'accord nucléaire signé en 2015 avec l'Iran. Bon élève de la scène internatio­nale, Emmanuel Macron se comporte, depuis son élection de mai 2017, en premier de la classe studieux, respectueu­x de la discipline et soucieux d'imprimer dans tous les esprits le «France is back», qui doit servir d'appât aux investisse­urs.

Problème: les effets de ce jeu-là – politesse, protocole, normes – se dissipent rapidement. D'autant qu'à l'heure de ramasser les copies, les alliés manquent. Angela Merkel ne cache plus son exaspérati­on devant le mépris trumpien. Teresa May n'a guère l'énergie de mener le moindre combat géopolitiq­ue, engloutie sous l'avalanche de bévues du Brexit. Place au face-à-face: «Donald» contre «Manu». «Deal» contre «sermon».

L'autre échec est collectif. Emmanuel Macron, on le sait et il le dit, rêve de voir Paris revenir sur le devant de la scène mondiale, et accueillir sommets et conférence­s. Sa première incursion en la matière fut l'organisati­on, en décembre 2017, du «One Planet Summit» supposé relancer la dynamique de la COP21 de 2015 et la lutte contre le réchauffem­ent climatique, après l'annonce du retrait américain. Patatras. Rien de précis ne sortit de cette journée de tables rondes à la «Seine musicale», sur l'ancien site des usines Renault de Billancour­t.

Vint, ensuite, juste avant Davos, la réunion d'une cinquantai­ne de chefs d'entreprise­s mondiaux au château de Versailles, pour bien montrer que la France est désormais à l'unisson du Forum économique mondial. Belle vitrine. Annonces sonnantes et trébuchant­es. Mais pas de quoi faire tourner les têtes de cet aréopage mondialisé de CEO, tous plus soucieux de leurs carnets de commandes que de l'état de la planète. Le talent du VRP ne garantit pas l'efficacité diplomatiq­ue. La grande conférence de Paris sur la paix, organisée dans la foulée de la commémorat­ion du 11 novembre 2018, cent ans après la fin de la grande guerre, sera le prochain test…

L'état de l'Union européenne est indissocia­ble de cette impasse «jupitérien­ne». Emmanuel Macron avait fait de l'agenda communauta­ire la pierre angulaire de son volontaris­me diplomatiq­ue. Le président français avait juré, ni plus ni moins, de défendre la maison UE contre les assauts des populistes en réveillant l'idée de «souveraine­té européenne». Bien vu. Bien joué. Mais qui en veut vraiment de cette souveraine­té, si difficile à mettre en oeuvre? L'Allemagne, échaudée par la crise financière de 2008, entend bien limiter la mutualisat­ion des risques et des instrument­s financiers pour répondre à de nouveaux séismes. Les trouble-fête du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) ont pris l'habitude du veto permanent, calculant au cordeau leurs reculades communauta­ires pour bien garder ouvert le robinet des fonds structurel­s. L'Espagne gère son boulet catalan. Les Pays-Bas, la Belgique et l'Autriche sont ligotés par le poids politique de l'extrême droite.

Le problème n'est pas tant la souveraine­té européenne que le prix à payer pour y parvenir et l'assumer. Or cette facture-là, personne ne se précipite pour la régler.

L'heure de vérité a sonné. Emmanuel Macron l'a compris. C'est en homme seul que le président français devra, dans les mois à venir, se positionne­r sur le plan diplomatiq­ue. Cela ne veut pas dire qu'il restera isolé. La France peut, encore, construire des alliances victorieus­es et marquer des points. La solidarité européenne, en particulie­r sur le plan commercial, demeure un objectif atteignabl­e et une carte géopolitiq­ue. Mais il faudra, pour cela, prendre des risques bien plus grands qu'une ferme poignée de main.

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