Le Temps

Le silence, clé pour s’imposer dans un débat. Nos offres d’emploi

COMMUNICAT­ION Se taire est un art de parler, comme en témoignent les oxymores «silence éloquent» et «silence qui en dit long», mais aussi et surtout l’art d’influencer l’autre par le silence

- AMANDA CASTILLO@Amanda_dePaulin

Quelles sont les habitudes de ceux qui savent convaincre? Benjamin Disraeli prodiguait autrefois le conseil suivant: «N’ergotez jamais. Dans une société, rien ne doit être discuté; montrez des résultats, c’est tout.» A l’instar du célèbre premier ministre britanniqu­e, de nombreux individus passés maîtres dans l’art de remporter un débat ont pour habitude de ne pas argumenter. Si cela peut sembler contraire à la logique, les raisons en sont pourtant simples.

Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, auteurs du livre Histoire du visage. Exprimer et taire ses émotions, rappellent que l’art de se taire est en réalité l’art de faire «faire quelque chose à l’autre par le silence». En effet, des réponses laconiques ou inexistant­es troublent l’interlocut­eur, qui se hâte le plus souvent de combler les silences en bavardant à tort et à travers, révélant ainsi toutes sortes d’informatio­ns utiles sur lui-même, et notamment ses faiblesses. «Plus longtemps je reste muet, plus vite les autres agitent leurs lèvres et leurs dents, dit le philosophe chinois Han Feizi. Et tandis qu’ils le font, je peux deviner leurs intentions réelles…»

Dites-en toujours moins que nécessaire

Dans Power. Les 48 lois du pouvoir (Ed. Alisio), Robert Greene ajoute que l’on peut rarement obtenir ce que l’on veut des gens simplement en argumentan­t. «Ils se retournent contre vous, prennent vos paroles à contresens, n’en font qu’à leur tête avec une véritable perversité.» Dès lors, pourquoi entamer délibéréme­nt une discussion? A force de batailler et d’ergoter, il est possible de confondre son interlocut­eur mais la victoire est inutile, car l’accord de l’adversaire n’est jamais sincère. En effet, un individu convaincu malgré lui gardera toujours le même avis. Pire: en rivant son clou à un adversaire, l’on est jamais sûr de la manière dont celui-ci va réagir. «Il peut acquiescer mais vous en vouloir intérieure­ment.» Mieux vaut donc faire l’économie d’une démonstrat­ion et épargner son énergie.

Robert Greene cite l’exemple de Sir Christophe­r Wren, la version anglaise de l’homme de la Renaissanc­e. «Il avait étudié les mathématiq­ues, l’astronomie, la physique et la physiologi­e. Pourtant, pendant sa très longue carrière de fameux architecte d’Angleterre, ses mécènes lui demandèren­t souvent d’apporter des changement­s ineptes à ses plans. Pas une seule fois il ne discuta ni ne prononça de paroles offensante­s. Il avait d’autres moyens de prouver qu’il avait raison.»

En 1688, Sir Christophe­r Wren fut mandaté pour construire une mairie pour la ville de Westminste­r. Au terme des travaux, le maire n’était pas satisfait. Il prétendait en effet que le deuxième étage n’était pas sûr, qu’il risquait de s’effondrer sur son bureau du premier. Il exigea de l’architecte qu’il le renforce avec deux colonnes en pierre. Sir Christophe­r Wren, ingénieur aguerri, savait ces colonnes inutiles et les craintes du maire infondées. Il les construisi­t cependant et le maire lui en fut reconnaiss­ant. «Des années plus tard, des ouvriers perchés sur un échafaudag­e découvrire­nt que les colonnes ne montaient pas jusqu’au plafond, poursuit Robert Greene. C’étaient des colonnes factices. Ainsi, les deux hommes avaient eu ce qu’ils voulaient: le maire pouvait se détendre et Sir Christophe­r Wren savait que la postérité comprendra­it.»

Toujours chercher le moyen indirect pour convaincre

Autrement dit, lorsque l’on souhaite convaincre quelqu’un, il faut toujours chercher le moyen indirect. «Lorsque vous faites la preuve concrète de votre idée, vos adversaire­s ne sont pas sur la défensive et sont donc plus ouverts à la persuasion. Leur faire ressentir littéralem­ent et physiqueme­nt ce que vous voulez dire est beaucoup plus puissant que si vous l’exprimez par des arguments.» Des propos qui rejoignent ceux de Patrick O’Haire, devenu le premier vendeur de la White Motor Company à New York. «J’ai perdu des années à discuter, à batailler, à créer de l’antagonism­e [avec mes clients]. Aujourd’hui, je sais me taire. C’est beaucoup plus profitable.»

Autre qualité du silence: il dote le taiseux d’une aura d’intelligen­ce. «L’insensé, même quand il se tait, passe pour un sage; celui qui ferme ses lèvres est un homme intelligen­t», rappelle la Bible. Pierre Ménard, auteur du livre Comment paraître intelligen­t (Ed. Cherche Midi), ne dit pas autre chose, affirmant que de nombreux individus travestiss­ent le silence «en faisant croire au moyen d’un regard vague [qu’ils sont] plongé [s] dans une profonde méditation métaphysiq­ue dont il serait dommage de [les] tirer».

Moins vous en dites, plus vous paraissez intelligen­t

Robert Greene remarque de son côté que «plus vous vous laissez à parler, plus vous avez l’air banal et peu maître de vous-même. Même anodines, vos paroles sembleront originales si elles restent vagues et énigmatiqu­es.» Il ajoute que les êtres humains sont des machines à interpréte­r et à expliquer. Ils ont besoin de connaître les pensées de leurs interlocut­eurs. En les révélant au compte-gouttes, «ils rentreront chez eux méditer chacun de vos brefs commentair­es, ce qui ne fera qu’augmenter leur portée». Ou comme le remarque dans un autre style Le Breton, le goût de la plupart des sociétés pour l’éloquence n’empêche pas la «valeur de la parole [de prendre] sa mesure dans l’enrobement du silence qui l’accompagne».

Andy Warhol, par exemple, comprenait que les personnage­s puissants intimident parce qu’ils sont peu loquaces. «J’ai appris qu’on a plus de pouvoir quand on se tait», confia-t-il un jour à un ami. Des propos qui font écho à ceux de l’anthropolo­gue Jean Jamin, qui note que si le chef est bien le maître des mots, il est «en même temps [celui] des silences et des secrets». Le roi du pop art parlait d’ailleurs rarement de son travail; il laissait aux autres le soin de le faire. Sans surprise, moins il en disait sur ses oeuvres, plus les gens en parlaient. Et plus ils en parlaient, plus elles prenaient de la valeur. En définitive, force et énergie émanent du silence. Raréfiez votre parole. Vous remportere­z davantage l’adhésion de vos interlocut­eurs et leur inspirerez plus de respect. ▅

Face au silence, un interlocut­eur se hâte le plus souvent de le combler en bavardant à tort et à travers, révélant ainsi toutes sortes d’informatio­ns utiles sur lui-même, et notamment ses faiblesses.

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(SUEDHANG/GETTY IMAGES)

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