Le Temps

A qui laisser les clés de la planète?

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Des tortues hideusemen­t déformées par des anneaux de plastique, des goélands emberlific­otés dans des sacs-poubelles ou bien morts l’estomac bourré de bouchons de bouteilles… Les effroyable­s images de la pollution par les plastiques nous font honte.

Cette crise environnem­entale a quelque chose de différent. D’abord parce qu’elle est bien visible, contrairem­ent à des gaz à effet de serre ou à des résidus chimiques. Ensuite parce que les débris nous sont bien plus familiers que des molécules échappées d’une usine ou d’un pétrolier en perdition: ce sont des bouchons de bouteilles, des cotons-tiges, des emballages que nous manipulons quotidienn­ement.

Ces deux particular­ités ont sans doute favorisé la prise de conscience mondiale qui semble émerger en ce moment. Cela fait pourtant une cinquantai­ne d’années que le plastique pollue les mers. Dès 1969, des biologiste­s alertaient déjà sur le fait que des albatros vivant à Hawaï avaient l’estomac bourré de plastique. Mais les quantités de plastique présentes dans la nature ont en quelque sorte atteint une masse critique qui fait qu’il est désormais impossible de ne plus les voir. Si le monde se décide à agir, c’est donc plus par souci de sauvegarde­r des lieux touristiqu­es que pour préserver l’écosystème le plus important de la planète. Mais qu’importe, il est temps d’agir.

Certains dirigeants l’ont compris, par exemple en Europe, où dix produits (pailles, cotons-tiges, entre autres) pourraient bientôt être interdits. La Suisse n’a pas suivi. Sans doute par pragmatism­e: après tout, le système de collecte de déchets fonctionne, et l’interdicti­on depuis 2000 de stocker le plastique dans des décharges, en faveur de l’incinérati­on, limite la disséminat­ion des déchets dans la nature. Avec des pertes de l’ordre de 0,3%, la Suisse figure parmi les pays les moins polluants en la matière.

Mais ce refus d’interventi­on au profit d’accords de branche a de quoi laisser pantois. Peut-on imaginer décision plus irresponsa­ble que de laisser les clés de la planète à de grandes entreprise­s pas franchemen­t réputées pour leur fibre environnem­entale? La Suisse envoie décidément un bien curieux message. Elle s’appuie souvent sur l’accord de branche de 2016 qui a rendu les sacs plastique payants, conduisant à une réduction de 84% de leur utilisatio­n en deux ans. C’est certes un beau résultat, mais c’est aussi oublier que c’est surtout par crainte d’une motion que ces entreprise­s sont passées à l’action, et non en raison de velléités environnem­entales.

Intrinsèqu­ement lié à la mondialisa­tion, symbole pop de la culture du tout jetable, le plastique n’est ni une affaire industriel­le, ni un défi technologi­que: il pose simplement une question de société. Question qui nécessite par conséquent une réponse politique. En tant que citoyens, l’exiger est légitime. Il n’en va pas de la survie des océans, mais de la nôtre. La mer, elle, survivra.

Une réponse politique est impérative

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