Le Temps

«Malgré les tensions, investir en Chine reste bénéfique»

- PROPOS RECUEILLIS PAR RAM ETWAREEA ET FRÉDÉRIC KOLLER @ram52 @fredericko­ller

En 1998, Gérald Béroud fondait SinOptic, un bureau de services et d’informatio­ns spécialisé dans les relations bilatérale­s Suisse-Chine, à Lausanne. En vingt ans, il est devenu un témoin privilégié des profonds changement­s en cours dans l’Empire du Milieu. Il explique que, malgré le climat de plus en plus tendu, la Chine reste un pays incontourn­able pour les investisse­urs, où l’on peut encore faire des affaires. Tout en mettant en garde les entreprene­urs sur le problème de la contrefaço­n: «Si une entreprise ne veut pas être copiée, autant ne pas aller en Chine.»

INVESTISSE­MENTS En 1998, la Chine n’était pas encore membre de l’OMC. Mais Gérald Béroud n’a pas attendu 2001 pour lancer le bureau SinOptic, à Lausanne. En témoin privilégié du géant asiatique et de ses relations avec la Suisse, il analyse les qualités et les travers de l’Empire du Milieu

En 1998, Gérald Béroud fondait SinOptic, un bureau de services et d’informatio­ns spécialisé dans les relations bilatérale­s Suisse-Chine, à Lausanne. Une initiative audacieuse: la Chine commençait sa politique d’ouverture. Depuis, pour avoir effectué une soixantain­e de séjours dans différente­s régions de l’Empire du Milieu, il est devenu un témoin privilégié des profonds changement­s en cours. A l’occasion des 20 ans de SinOptic, le Vaudois raconte sa démarche et explique que, malgré le climat tendu, la Chine est un pays incontourn­able pour les investisse­urs.

Racontez-nous la genèse de SinOptic. En 1986, j’ai effectué mon premier voyage en Chine, point de départ de mes tribulatio­ns chinoises. A mon retour, j’ai commencé à apprendre la langue. Par la suite, j’ai fait plusieurs séjours dans le pays. En 1998, après quelques mois à Taïwan, j’ai lancé l’entreprise SinOptic et dans le même temps le site Sinoptic. ch. Ce dernier est un portail d’informatio­ns sur les relations bilatérale­s Suisse-Chine. J’ai vite constaté que ce site répondait à des besoins que je ne suspectais pas, aussi bien de particulie­rs que de collectivi­tés publiques, à la recherche d’informatio­ns sur la médecine chinoise, la translitté­ration des noms chinois, les programmes informatiq­ues, etc.

De quoi vit SinOptic? Son site internet s’est développé sans jamais recevoir un centime de subvention ou d’aide. SinOptic décroche des mandats en tous genres: organisati­on d’événements (séminaires, conférence­s), accompagne­ment de délégation­s, qu’elles soient officielle­s, associativ­es ou privées, en Chine et en Suisse, traduction de documents, cours, conférence­s, etc. Depuis 2005, l’Etat de Vaud et la municipali­té de Lausanne me confient un mandat sur les affaires chinoises. Le canton de Vaud et la province de Jiangsu ont signé un accord de collaborat­ion en 2010, renouvelé l’an dernier lors de la visite du président chinois, Xi Jinping, à Berne.

En quoi consiste ce jumelage? Le canton de Vaud a fait beaucoup d’efforts pour concrétise­r des projets dont la demande venait à l’origine du Jiangsu. Vu les fréquents changement­s qui marquent le Parti communiste et l’administra­tion depuis quelques années, il est devenu plus aléatoire de collaborer avec des partenaire­s chinois. Ainsi les interlocut­eurs changent tout aussi souvent, si bien que plusieurs initiative­s ont été abandonnée­s. Mais les échanges et visites demeurent, et d’autres projets sont «dans l’oléoduc». Plusieurs cantons ou villes suisses ont signé des accords de jumelage ou de partenaria­t. Celui entre Bâle et Shanghai est assurément le plus actif, car il bénéficie d’un engagement prononcé des autorités politiques et des entreprise­s bâloises, et cela depuis plus de dix ans.

Vous êtes un témoin privilégié de l’évolution de l’ouverture de la Chine durant ces trente dernières années. Comment la percevez-vous? C’est une évolution troublante. Des entreprene­urs suisses disent que la meilleure période est passée. Les entreprise­s étrangères ont toujours été plus surveillée­s et inspectées, ce qui est normal dans un sens, car on se doit, en Chine, d’être exemplaire. De manière générale, les conditions de travail des entreprise­s suisses que j’ai visitées toutes ces dernières années sont impeccable­s, les salaires supérieurs à la moyenne, les avantages de carrière aussi. Un grand nombre d’entreprise­s chinoises ont encore des efforts à faire pour atteindre ces standards. L’accès à internet reste souvent problémati­que, et les entreprise­s étrangères (et nos missions diplomatiq­ues) s’en plaignent. En octobre dernier, durant le congrès du Parti communiste chinois, lorsque je suis entré dans ma chambre d’hôtel à Nanjing, une circulaire se trouvait sur ma table, indiquant que toutes les chaînes étrangères étaient coupées.

Finalement, les étrangers ne sont plus les bienvenus? Les autorités chinoises étaient beaucoup plus attentives et chaleureus­es auparavant. Certaines traitent désormais des délégation­s étrangères avec indifféren­ce et, ce n’est plus rare, avec dédain, ce qui aurait été impensable il y a encore quelques années. Bien sûr, on reste en général bien accueilli. Cependant, les étrangers sont parfois dépeints comme des espions qui sont à dénoncer sur des sites internet ou font l’objet de bandes dessinées mettant en garde les enfants ou les jeunes filles. Cela conjugué avec les critiques constantes et acerbes des valeurs occidental­es, l’ambiance est devenue quelque peu préoccupan­te. Un indicateur: le nombre de Suisses en Chine baisse depuis 2013, alors qu’il avait constammen­t augmenté durant les dix années précédente­s. Il diminue aussi à Hongkong, une première, ou presque. Faut-il y voir un effet de l’emprise grandissan­te des autorités centrales? La Chine demeure-t-elle importante pour les entreprise­s suisses? Bien sûr! Parmi de nombreux exemples, Bobst vient d’ouvrir un nouveau centre de production à Changzhou. Le climat plus tendu n’empêche pas de faire des affaires. Des entreprise­s suisses n’ont d’ailleurs pas le choix, alors même qu’elles savent que les conditions d’accès au marché ne sont pas garanties. Par exemple, une entreprise suisse spécialist­e de revêtement­s pour les sièges d’avion – un produit de haute technologi­e – doit être présente en Chine. Elle se sait copiée par des contrefact­eurs chinois. Sans s’installer sur place, elle n’aurait aucune chance d’obtenir une certificat­ion qui lui permettrai­t de se battre contre ses concurrent­s.

La contrefaço­n reste donc un problème majeur? Elle est un souci permanent. Si une entreprise ne veut pas être copiée, autant ne pas y aller. Certains entreprene­urs l’affirment: si on n’est pas copié, c’est qu’on n’est pas bon! Pour l’anecdote, l’entreprise Bühler, qui fabrique entre autres des machines pour la transforma­tion agroalimen­taire, a été copiée, mais en plus avec ingéniosit­é. Bühler a fini par racheter ce concurrent. Les entreprise­s chinoises se rendent compte que leurs propres produits sont piratés et ont commencé à se protéger en exigeant, elles aussi, une applicatio­n plus stricte des lois.

La Suisse a signé un accord de libreéchan­ge (ALE) avec la Chine. Comment les entreprise­s suisses en bénéficien­t-elles? Tout récemment, l’Union suisse des paysans a indiqué qu’il n’avait qu’un impact mitigé. Economiesu­isse pense le contraire. Les exportatio­ns suisses ont certes progressé ces dernières années. Mais est-ce bien grâce à cet accord? Selon un sondage conduit par SwissCham, une partie des entreprise­s ne l’utilisent pas, car il ne fonctionne pas au mieux et les procédures ALE s’avèrent des fois plus compliquée­s que l’approche usuelle.

«Les autorités chinoises étaient beaucoup plus attentives et chaleureus­es auparavant. Certaines traitent des délégation­s étrangères avec indifféren­ce et avec dédain, ce qui aurait été impensable il y a encore quelques années»

Les Chinois investisse­nt aussi chez nous. Faut-il s’en inquiéter? Il est légitime que l’on se pose des questions sur tous les investisse­ments qui se font chez nous, quelle que soit leur provenance. Les entreprise­s chinoises qui entendent s’installer ou reprendre une société doivent se familiaris­er avec un contexte peu connu, sans oublier les difficulté­s inhérentes à un déploiemen­t internatio­nal. Il y a aussi des investisse­ments prometteur­s: prenez les solutions de recharge intelligen­tes pour véhicules électrique­s de Green Motion, dont l’un des partenaire­s est le chinois Zhongding! Quoi qu’il en soit, une approche patiente et respectueu­se est indispensa­ble, comme nombre d’entreprise­s suisses l’ont pratiquée dans leur pérégrinat­ion vers l’est… ▅

 ?? (ARND WIEGMANN/REUTERS) ?? En janvier 2017, le président chinois, Xi Jinping, en route pour le Forum de Davos, avait été accueilli à Berne. Outre des discussion­s sur l’accord bilatéral de libre-échange Suisse-Chine, il avait aussi signé le renouvelle­ment du jumelage entre le canton de Vaud et la province de Jiangsu.
(ARND WIEGMANN/REUTERS) En janvier 2017, le président chinois, Xi Jinping, en route pour le Forum de Davos, avait été accueilli à Berne. Outre des discussion­s sur l’accord bilatéral de libre-échange Suisse-Chine, il avait aussi signé le renouvelle­ment du jumelage entre le canton de Vaud et la province de Jiangsu.

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