Les combats redoublent en pays Kachin
La guerre a repris en 2011, après 17 ans d’absence, pour s’intensifier ces derniers mois. Ici comme en terre rohingya, les espoirs placés dans le gouvernement d’Aung San Suu Kyi se sont évanouis
Un soir, aux alentours de minuit, Marig Seng Pai a entendu des bombardements près de son village. «Un peu après, les militaires sont arrivés, on a pris la fuite sans rien emporter avec nous», raconte la Birmane, assise à l'intérieur d'un abri en bambou, dans un camp de déplacés, à quelques kilomètres de la capitale de l'Etat kachin, Myitkyina. «Il y avait beaucoup de personnes âgées qui ne pouvaient pas marcher, donc on a dû les porter sur notre dos ainsi que les enfants, pendant plusieurs jours», se rappellet-elle, alors que la pluie tombe inlassablement, inondant les allées de ce campement de fortune.
Depuis le mois d'avril, on compte près de 8000 personnes déplacées dans la région à cause des récents combats. «On avait si peur qu'on n'a même pas pensé à ce qu'on allait manger sur le chemin, on voulait juste être en sécurité. On a laissé nos vaches et nos cochons dans notre village», ajoute une femme d'une quarantaine d'années, qui préfère rester anonyme.
Dans l'Etat kachin, les combats ont repris en 2011, après 17 ans de trêve, entre l'armée et la rébellion, qui réclame davantage d'autonomie. L'Armée pour l'indépendance kachin (KIA) n'a pas signé l'accord de cessez-le-feu de 2015 entre le gouvernement et plusieurs groupes rebelles. Ces derniers mois, des violences ont notamment éclaté dans le district de Tanai, riche en mines d'ambre, dans une région où les ressources minières attirent les convoitises.
Conférence de paix retardée de plusieurs mois
Pour Dau Kha, le porte-parole de la KIO, la branche politique de la KIA, la situation s'est aggravée cette année: «Jour après jour, les combats s'intensifient, et le dialogue politique s'éloigne. Il n'y aucun signe positif pour le futur.» Le constat du père catholique Noel Naw Lat est le même: «Il y a plus de combats aujourd'hui que sous le précédent gouvernement», assène l'ancien directeur de la Caritas locale, qui cite les récents affrontements dans l'Etat kayin, dans le sud du pays, entre l'armée et un groupe rebelle (KNLU), dont la branche politique est pourtant signataire de l'accord de 2015.
Autre signe des difficultés pour le processus de paix: la conférence de Panglong, dont la dernière édition devait se tenir en janvier et qui réunit gouvernement, militaires et groupes ethniques, n'a toujours pas eu lieu. «Aung San Suu Kyi fait confiance à l'armée», analyse le porte-parole de la KIO, pour qui seule une pression de la Chine voisine, et influente, ou des sanctions de la communauté internationale pourraient changer les choses. Pour le père Naw Lat, qui dialogue constamment avec les différents acteurs du conflit, l'espoir placé dans le gouvernement d'Aung San Suu Kyi a disparu.
Fin mai, lors d'une conférence de presse, l'armée s'est dite prête à arrêter les opérations militaires dans l'Etat kachin, si le président en donnait l'ordre. «Mais jusqu'à aujourd'hui, le gouvernement n'a rien dit. Rien. Cela signifie que les militaires ne sont pas les seuls responsables des attaques. Le gouvernement est d'accord, sinon pourquoi l'armée dirait-elle cela?» interroge le père Naw Lat, qui dénonce le silence d'Aung San Suu Kyi sur la situation dans le pays kachin. Le gouvernement, lui, assure porter assistance aux personnes déplacées par les combats, notamment avec la Kachin Baptist Convention. Mais pour son secrétaire général, «nous avons survécu grâce à l'aide des ONG et de l'ONU».
Gros problèmes d’accès pour les humanitaires
Comme dans l'Etat d'Arakan, où a eu lieu la répression contre les Rohingyas, les problèmes d'accès à l'Etat kachin sont dénoncés. «Il y a eu une détérioration importante de l'accès humanitaire, particulièrement dans les zones hors contrôle gouvernemental», explique Pierre Peron, le porte-parole du bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, qui ajoute que, depuis juin 2016, l'ONU s'y est vu refuser l'accès pour fournir de l'aide aux personnes déplacées.
Fin avril, près de 5000 personnes sont descendues dans les rues de Myitkyina pour demander au gouvernement d'aider les civils piégés dans la jungle à cause des combats. Trois d'entre elles sont désormais poursuivies par les militaires pour diffamation. «On doit être très prudents, ils peuvent nous faire ce qu'ils veulent», explique Htoi Awng, un jeune activiste de 24 ans à la tête du Kachin Youth Movement, qui assure qu'il continuera son combat, avant d'ajouter: «On est menacés de plusieurs façons, en justice, sur les réseaux sociaux… Parfois, je voudrais m'enfuir.»
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«Les militaires ne sont pas les seuls responsables. Le gouvernement est d’accord»
NOEL NAW LAT,
ANCIEN DIRECTEUR LOCAL DE CARITAS