Le Nicaragua s’enfonce dans la violence
Grèves, barrages: les manifestations se multiplient contre le président Daniel Ortega. La réponse du régime a été une répression féroce, qui a fait près de 150 morts depuis le 19 avril
Des mortiers artisanaux dans les mains, les étudiants de l’Université autonome du Nicaragua montent la garde derrière d’imposantes barricades. «La nuit, les policiers et les troupes de choc tirent sur nous au fusil-mitrailleur», dénonce l’un d’eux, le visage masqué par un foulard. Depuis le 19 avril, les étudiants exigent le départ du président, Daniel Ortega. Parti de Managua, la capitale, leur mouvement de contestation a gagné toutes les franges de la population à travers ce petit pays d’Amérique centrale. L’étau se resserre sur l’ancien guérillero sandiniste, devenu un dirigeant autoritaire qui s’accroche au pouvoir, menant une répression féroce qui a fait près de 150 morts.
Mardi 12 juin, une grève générale de vingt-quatre heures a été annoncée par l’Alliance nationale pour la justice et la démocratie, composée depuis la mi-mai de représentants des étudiants, des patrons, des paysans et de la société civile. Quelques heures plus tôt, la presse révélait que Daniel Ortega avait proposé au gouvernement américain des élections anticipées, à condition de rester au pouvoir d’ici là. «Pas question, lance Medardo Mairena, représentant les paysans au sein de l’Alliance nationale. Nous exigeons d’abord sa démission, car il continue de nous tuer.» Même détermination chez Edwin Carache, 27 ans, porte-parole de la coordination universitaire: «Le président est allé trop loin. Nous réclamons son départ, un gouvernement transitoire, des élections anticipées et que les crimes soient jugés.» Occupée durant cinquante-deux jours, son Université polytechnique (Upoli) de Managua a été, samedi 9 juin, abandonnée. «Des infiltrés, liés aux autorités, cherchaient à décrédibiliser notre mouvement pacifique», soupire Edwin. Les étudiants se sont repliés dans les autres facs barricadées.
«Ni pardon ni oubli»
Un vent d’insurrection souffle sur Managua, où les panneaux à l’effigie de Daniel Ortega et de Rosario Murillo, son épouse et vice-présidente, sont déchirés ou tagués: «Assassins», «Ni pardon ni oubli, justice!», «Qu’ils partent!»… Le drapeau bleu et blanc du Nicaragua flotte au vent. «C’est devenu l’emblème de la révolte, remplaçant celui rouge et noir du Front sandiniste de libération nationale [FSLN], le parti du président», explique une commerçante ambulante.
Paradoxalement, Daniel Ortega a été un des leaders du FSLN qui ont mis fin, en 1979, à quarante-trois ans de dictature de la famille Somoza. Les manifestants accusent le héros révolutionnaire, au pouvoir de 1979 à 1990 et sans interruption depuis 2007, d’être devenu, à son tour, un dictateur. «Il a confisqué tous les pouvoirs et réprime les contestataires, peste un mécanicien dans son atelier au centre-ville. On se taisait par crainte des représailles. C’est fini!»
A côté de la cathédrale à l’architecture dépouillée, les opposants ont monté un centre de collecte. «Ces vivres et médicaments vont à Masaya», explique une volontaire de 52 ans. Située à 32 km au sudest de Managua, cette petite ville est devenue l’épicentre de la rébellion avec plus de 200 barricades. Chaque nuit, ce haut lieu de la révolution de 1979 se transforme en champ de bataille meurtrier. «On a créé des groupes d’autodéfense, car Ortega veut nous exterminer», explique un chef de secteur, une barre de fer à la main.
Partout dans le pays, la population a monté des barrages sur les axes routiers. «Ils sont attaqués par des paramilitaires à bord de camionnettes», dénonce Medardo Mairena. Toutes les entrées de la capitale sont bloquées. Pour le célèbre écrivain Sergio Ramirez, qui a été vice-président (1985-1990) du régime sandiniste avant de s’y opposer: «La violence d’Ortega révèle sa faiblesse. Il a perdu ses symboles, la rue et beaucoup de soutiens.» Les généraux ont annoncé que l’armée ne prendrait pas parti dans la crise, alors que le principal syndicat patronal, le Conseil supérieur des entreprises privées, ancien pilier du régime, a rompu avec le gouvernement.
Daniel Ortega, qui a déclaré qu’il resterait au pouvoir, dénonce une «conspiration» de l’opposition. Il nie l’existence de groupes de répression gouvernementaux, alors que la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) s’est alarmée des «exécutions extrajudiciaires» et du recours à des francs-tireurs.
Délinquants libérés
Marlin Sierra, directrice du Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh), confirme que «les turbas (escouades gouvernementales) existent. Ils sont composés de jeunes sandinistes, de policiers en civil et de délinquants libérés.» Lundi 11 juin, le Cenidh comptabilisait 148 morts, 1300 blessés et des dizaines de disparus. La psychose règne dans les rues de la capitale, désertées à la nuit tombée.
Sous la pression internationale, Daniel Ortega a accepté une prochaine visite d’experts de la CIDH pour enquêter sur les «violations des droits de l’homme». L’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains (OEA) a adopté, le 5 juin, une déclaration de «soutien au peuple nicaraguayen», appelant à une sortie de la crise par le dialogue. «Cette déclaration ne mentionne pas nommément le gouvernement, déplore Carlos Tünnermann, ancien ministre de l’Education et ambassadeur à Washington de 1979 à 1990, qui a pris ses distances avec le régime. C’est la résistance civile pacifique qui fera partir Ortega.»
Mais la grève générale suscite des inquiétudes. «Si cette mesure extrême devait se prolonger, elle affecterait d’abord les plus démunis», prévient José Adan Aguerri, président du Cosep, membre de l’Alliance nationale, qui appelle Daniel Ortega au dialogue. Le Nicaragua est le deuxième pays le plus pauvre du continent, après Haïti. Les pertes s’élèvent déjà à plus de 600 millions de dollars (510 millions d’euros), selon la Fondation pour le développement économique. «Ortega est têtu, avertit Carlos Tünnermann. Il jouera le rapport de force jusqu’au bout.» Derrière les barricades et les barrages, les opposants assurent à l’unisson qu’ils n’abandonneront pas la lutte, «même si cela doit encore coûter des vies».
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«On a créé des groupes d’autodéfense, car Ortega veut nous exterminer»
UN CHEF DE SECTEUR