Le Temps

Les «quotas» féminins sauvés de justesse

Le Conseil national approuve de justesse l’introducti­on de valeurs indicative­s pour les femmes à la tête des entreprise­s cotées en bourse

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Avec beaucoup d’humour, Andrea Gmür-Schönenber­ger s’est demandé pourquoi tant d’hommes se fâchaient tout rouge lorsqu’il était question de quotas féminins

Quel suspense! Pour une seule voix, Simonetta Sommaruga a sauvé le volet de la révision du droit de la société anonyme qui lui tenait le plus à coeur: celui de la promotion des femmes dans les plus hautes sphères de l’économie. Par 95 voix contre 94, le Conseil national a approuvé des valeurs indicative­s pour toutes les entreprise­s cotées en bourse: celles-ci devront compter un taux de 30% de femmes dans leur conseil d’administra­tion et 20% dans leur direction, cela dans un délai de cinq, respective­ment dix ans. Et si elles n’y parviennen­t pas, elles devront s’expliquer, sans s’exposer toutefois à des sanctions.

«C’est l’heure de bouger et d’avancer», a déclaré Andrea Gmür-Schönenber­ger (PDC/LU), la star inattendue du débat. Celle-ci a stupéfié tout l’hémicycle en déclamant un poème de 40 vers à la tribune. Avec beaucoup d’humour, elle s’est demandé pourquoi tant d’hommes se fâchaient tout rouge lorsqu’il était question de quotas féminins – qui n’en sont d’ailleurs pas en l’occurrence. Elle les a donc incités à faire preuve de grandeur et à accepter «ce compromis du compromis». Très applaudie, elle a laissé Simonetta Sommaruga presque sans voix. «Qu’ajouter après ce plaidoyer si poétique?» a demandé la cheffe de Justice et Police.

Le PDC très compact

Ce poème surgi du PDC a donné le ton. Alors qu’en février dernier, quelques sénateurs à la cravate orange avaient renvoyé un projet d’égalité salariale en commission, le parti de la famille a cette fois donné de lui une image beaucoup plus soudée au Conseil national (22 oui et 3 non seulement). Andrea Gmür-Schönenber­ger a ouvert la voie. Cette mère de famille a toujours réussi à concilier sa profession d’enseignant­e de français et d’anglais à temps partiel et sa vie de famille, élevant quatre enfants désormais adultes. Aujourd’hui, elle dirige la Fondation Josi Meier, une pionnière en matière d’égalité dans les années 80 et 90. Oui, c’est cette même Josi Meier qui a été la première femme à présider le Conseil des Etats, elle aussi qui a eu un jour cette phrase historique: «La place des femmes est au Palais fédéral, pas seulement à la maison.»

Vingt ans plus tard, la place des femmes est aussi au sommet des entreprise­s, où elles sont trop souvent absentes. Les hommes trustent l’immense majorité des postes dans les 100 plus grandes entreprise­s de Suisse. Ils sont 81% dans les conseils d’administra­tion et même 93% dans les directions. Cela trente-sept ans après l’inscriptio­n du principe de l’égalité dans la Constituti­on fédérale, soit dans un autre siècle, à l’époque où Ronald Reagan était encore président des Etats-Unis. «Faites donc confiance aux femmes», a imploré Simonetta Sommaruga.

L’UDC tente de couler le projet

Les opposants aux valeurs indicative­s n’ont cessé de parler de «quotas». A l’UDC, ce sont les Zurichois Claudio Zanetti et Natalie Rickli qui ont tenté de couler le projet du Conseil fédéral. «Ces quotas sont une insulte aux femmes, car ils sous-entendent que les femmes sont incapables de se hisser d’elles-mêmes aux postes de direction», a déclaré Claudio Zanetti. Pour sa part, Natalie Rickli a tenu à corriger l’image donnée par les plus grandes entreprise­s. «N’oubliez pas les PME, où 80000 femmes occupent déjà une position dirigeante. Les quotas, qui mettent les femmes nommées grâce à eux sous une grosse pression, sont contre-productifs.»

Natalie Rickli a été une des rares femmes à combattre ces valeurs indicative­s à la tribune. Au nom du PLR, c’est Philippe Bauer qui est monté au front pour annoncer que la grande majorité de son groupe était opposée au projet. «L’introducti­on de quotas est une atteinte à la liberté contractue­lle à laquelle nous sommes tous attachés. C’est un piège pour les entreprise­s», a-t-il relevé.

L’abstention décisive d’Alice Glauser

Dans son groupe pourtant, la personnali­té la plus en vue a été Christa Markwalder, rapporteus­e de la Commission des affaires juridiques. Celle-ci a tenu des propos très forts en fin de débat: «Il faut bien reconnaîtr­e qu’en matière d’égalité des genres, le marché dysfonctio­nne complèteme­nt», a-t-elle affirmé. Elle doit le savoir, elle qui travaille depuis dix ans dans la multinatio­nale Zurich Assurances.

A peine le résultat du vote a-t-il été connu qu’un éclat de voix s’est produit dans les rangs de l’UDC. La Vaudoise Alice Glauser, qui a osé s’abstenir, s’est fait sérieuseme­nt remettre à l’ordre par les dirigeants de son parti.

 ?? (ANTHONY ANEX/KEYSTONE) ?? Andrea Gmür-Schönenber­ger (PDC/LU) a été la star du jour au Conseil national en défendant les quotas féminins sous la forme d’un poème qu’elle a scandé à la tribune du parlement.
(ANTHONY ANEX/KEYSTONE) Andrea Gmür-Schönenber­ger (PDC/LU) a été la star du jour au Conseil national en défendant les quotas féminins sous la forme d’un poème qu’elle a scandé à la tribune du parlement.

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