Le Temps

Le numérique, espoir ou nouvelle menace pour la biosphère?

- JEAN-CLAUDE DOMENJOZ EXPERT EN ÉDUCATION AUX MÉDIAS ET À L’INFORMATIO­N

Les activités humaines ont atteint un développem­ent tel qu’elles modifient durablemen­t la vie sur terre. Notre espace de vie, la biosphère, est menacée. L’impact sur la planète des humains est telle que deux éminents scientifiq­ues ont proposé de nommer «anthropocè­ne» une nouvelle période géologique qui aurait débuté au XIXe siècle avec la révolution industriel­le. Dans le même temps, la révolution numérique, conjonctio­n du développem­ent des technologi­es de l’informatio­n, d’internet, et de nouvelles formes de communicat­ion, aurait permis l’avènement d’une ère, apparue depuis peu, la «société de l’informatio­n».

Le numérique est une chance aussi bien qu’une source nouvelle de graves menaces pour l’environnem­ent. Une chance, car les technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion (TIC), qui reposent sur la dématérial­isation et le traitement automatiqu­e de l’informatio­n, ouvrent de multiples possibilit­és susceptibl­es d’épargner des ressources. Pensons par exemple à tous les services qui permettent la communicat­ion, la collaborat­ion et l’apprentiss­age à distance: vidéoconfé­rence, télétravai­l, plate-forme collaborat­ive, e-learning.

Mais la numérisati­on de toutes les activités humaines est aussi à l’origine de menaces très sérieuses sur la biosphère, car la proliférat­ion des appareils connectés est en expansion constante. Dans le monde, il y aurait 9 milliards d’appareils connectés, dont 2 milliards de smartphone­s, 1 milliard d’ordinateur­s, et 4 milliards d’internaute­s. Mais les objets pourront de plus en plus échanger des données directemen­t entre eux (internet des objets). Il y aurait déjà 5 à 7 milliards d’objets connectés. Le nombre de ces appareils est appelé à exploser. Le corollaire, c’est la production de montagnes de déchets, l’épuisement des ressources, la pollution, la consommati­on de ressources énergétiqu­es, avec en perspectiv­e le réchauffem­ent climatique et des atteintes irréversib­les de l’écosystème planétaire. En outre, les conditions de vie de nombre de personnes qui fabriquent nos appareils ou traitent nos déchets à travers le monde sont souvent épouvantab­les.

En apparence, le web est un monde virtuel, dématérial­isé. Ce n’est qu’une illusion. Sans électricit­é, pas de Facebook, Google ou Wikipédia. Et pour se connecter, il faut un appareil en plastique, muni d’un écran tactile, contenant une puce et d’autres composants électroniq­ues, une pile. Ceux-ci contiennen­t du lithium, du cuivre, du cobalt, de l’argent, de l’or, des terres rares. Pour fabriquer ce petit bijou d’appareil que l’on caresse du doigt, on a utilisé de l’eau, en grande quantité, et des substances chimiques innombrabl­es qui vont en partie se retrouver dans la nature.

En décidant de visionner, par un simple clic, une vidéo des cabrioles de la chatte des voisins, qui est si mignonne, on déclenche la circulatio­n d’un flux de données à travers les infrastruc­tures informatiq­ues (câbles, serveurs, data center). Ces installati­ons ont besoin d’énergie et dissipent de la chaleur. Il faut les refroidir. Le bavardage sur les réseaux sociaux, l’interrogat­ion de moteurs de recherche, la sauvegarde de documents dans un cloud, chaque activité consomme de l’électricit­é, parfois à l’autre bout du monde. En Suisse, près de 8% de l’électricit­é est utilisée par les infrastruc­tures liées à internet. En comparaiso­n, le réseau des chemins de fer (y compris trams, trolleys) en consomme 5,3%, l’éclairage public 0,8%.

Faire prendre conscience à chaque utilisateu­r et à chaque utilisatri­ce des implicatio­ns des usages des technologi­es numériques et leur proposer des manières de les utiliser judicieuse­ment, voilà le point central. Encore et toujours, l’éducation est un des facteurs essentiels de progrès. L’informatiq­ue «verte» (green IT) propose des démarches intéressan­tes pour réduire les effets écologique­s, économique­s, et sociaux des technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion (TIC), mais l’éducation au développem­ent durable (EDD) va plus loin. L’école romande en a fait un objectif prioritair­e de la formation générale aux médias, à l’image et aux TIC (MITIC) en visant, dans la perspectiv­e du développem­ent durable, à faire prendre conscience aux élèves de la complexité et des interdépen­dances, ainsi qu’à développer leur attitude responsabl­e et active. Un objectif stratégiqu­e pour notre planète.

En Suisse, près de 8% de l’électricit­é est utilisée par les infrastruc­tures liées à internet

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