Pour surmonter un traumatisme, en réécrire le souvenir
NEUROSCIENCES Une équipe de neurobiologistes de l’EPFL est parvenue à visualiser les phénomènes cellulaires à l’oeuvre lors du traitement de souvenirs traumatiques. Une recherche 100% suisse publiée dans «Science»
Une personne qui a été renversée par une voiture rouge peut rester traumatisée par les voitures rouges. Le rôle de l’hippocampe dans la formation de nos souvenirs fait aujourd’hui consensus parmi les scientifiques. Mais, au sujet des souvenirs traumatiques en particulier, une question clé subsiste: afin d’atténuer la peur qu’ils suscitent, doivent-ils être inhibés ou bien réécrits?
Pour y répondre, l’équipe du professeur Johannes Gräff, neurobiologiste à l’EPFL, a cherché à visualiser les neurones impliqués dans l’extinction d’un souvenir traumatique. Les résultats de cette recherche sont publiés dans Science le 15 juin 2018. Pas peu fier, le professeur détaille les résultats d’Ossama Khalaf, post-doctorant dans son laboratoire.
La peur est une émotion fréquente. Elle nous aide la plupart du temps à faire face aux dangers. Mais elle est régulièrement à l’origine de troubles comme l’anxiété lorsqu’elle associe un souvenir traumatique à un contexte donné. Le traitement de ces souvenirs traumatiques chez l’homme représente un véritable enjeu pour les psychothérapeutes. Les neurobiologistes, eux, cherchent à comprendre les phénomènes à l’échelle cellulaire.
Les scientifiques de l’EPFL ont travaillé sur des souris. Comme les chiens de Pavlov, ils les ont conditionnées à avoir peur: placées dans une boîte, elles ont été soumises à de faibles électrochocs. Un mois plus tard, replacées dans la même boîte, les souris étaient toujours traumatisées par le souvenir et ne bougeaient plus.
«Dans une grande mesure, les patients doivent revivre leur traumatisme pour le surpasser» PAUL W. FRANKLAND ET SHEENA A. JOSSELYN, CHERCHEURS CANADIENS
Le «gyrus dentelé»
Le travail de visualisation des neurones actifs à différents moments de l’expérience a alors pu commencer grâce à des techniques de génie génétique (les neurones actifs des souris produisent des protéines qui peuvent être visualisées par fluorescence).
L’observation du cerveau de la souris se concentre sur deux moments bien distincts. Dans un premier temps, on marque les neurones actifs lorsque la souris, placée dans la boîte, se remémore la peur. Ce groupe de neurones se situe dans le «gyrus dentelé», une région bien précise de l’hippocampe, et constitue ce qu’on appelle en neurosciences la «trace» du souvenir de la peur.
Puis les scientifiques ont voulu regarder quels neurones étaient activés une fois le souvenir «éteint». La souris est donc laissée dans la boîte pendant une certaine période, sans stimulation, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus effrayée par la situation. Les cellules actives dans le cerveau de la souris après cette atténuation de la peur sont alors marquées d’une autre couleur.
Résultat: il existe un chevauchement. C’est-à-dire qu’un certain pourcentage des cellules activées par le souvenir de la peur est réactivé après atténuation. Elles ne signalent alors plus la peur, mais quelque chose de neutre. Il existe même une corrélation positive: plus il y a de cellules réactivées, plus la peur est atténuée.
«Etant donné cette corrélation, que se passe-t-il si on inactive les neurones porteurs du souvenir de la peur pendant le temps d’atténuation?» ont voulu vérifier les scientifiques. Le résultat est sans appel: la peur reste alors élevée. «Et inversement, si on booste l’activité de ces neurones, on diminue d’autant plus la peur après traitement», explique le professeur Gräff.
Les mêmes cellules
Autrement dit, l’activation pendant le traitement des neurones impliqués dans la mémoire traumatique est primordiale. «La clé pour le traitement d’un traumatisme repose dans les mêmes cellules qui stockaient ce traumatisme», résume le neurobiologiste.
Ce résultat est crucial. Il permet de valider à l’échelle cellulaire l’un des deux scénarios qui existent depuis les expériences de Pavlov sur l’atténuation d’une peur ancienne. A savoir: que le souvenir de la peur ne serait pas inhibé mais réécrit.
«Ces résultats confirment ce que nombre de thérapeutes accomplis savent déjà: dans une grande mesure, les patients doivent revivre leur traumatisme pour le surpasser», soulignent dans leur commentaire (publié dans la même édition de Science) les chercheurs canadiens Paul W. Frankland et Sheena A. Josselyn.
Les experts canadiens souhaiteraient en savoir plus sur l’éventuelle diminution des risques de rechute, suite à l’activation des neurones impliqués dans le stockage de la peur. Et sur les applications possibles de ces résultats en pharmacologie.
A ce sujet, le professeur Gräff pense déjà à l’avenir: «Nous souhaiterions maintenant identifier les gènes impliqués dans les cellules réactivées.» Ces gènes pourraient constituer une cible précise pour de potentiels médicaments.
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