Le Temps

L’égalité salariale en entreprise est impossible

- ALAIN SALAMIN EXPERT EN RÉMUNÉRATI­ON ET CHARGÉ DE COURS À HEC LAUSANNE

Le Conseil des Etats accepte finalement un projet de loi destiné à renforcer l’égalité salariale. Il était temps. Pourtant, le fond du sujet est rarement évoqué: l’égalité salariale en entreprise est-elle souhaitabl­e et possible? Si, au niveau de notre pays, il est impératif de viser une égalité salariale entre hommes et femmes, peut-on disposer d’un salaire égal pour les hommes et les femmes en entreprise? Les organisati­ons qui pratiquent l’égalité stricto sensu en Suisse sont extrêmemen­t rares, mais elles existent.

L’exemple de Die Wochenzeit­ung, journal basé à Zurich, est suffisamme­nt exceptionn­el pour être mentionné: tous les employés, quels que soient leur sexe ou leurs responsabi­lités, y gagnent le même salaire: 5000 francs par mois. Résultat: égalité complète. Est-ce pour autant équitable? Non, car faire des différence­s est pratique courante et tout à fait justifiabl­e.

Comment? Par des critères précis permettant d’expliquer objectivem­ent ces disparités: les responsabi­lités (financière­s, gestion d’équipe), les formations, l’expérience, la pénibilité du travail, sa complexité, l’impact sur les résultats, etc. Rechercher l’égalité salariale est donc utopique. Il ne s’agit pas de viser un «salaire égal pour tous», mais bien «à travail égal, salaire égal». Diverses méthodolog­ies d’évaluation des fonctions existent, et sont abordables pour toute entreprise désirant garantir l’équité salariale entre les postes.

Aucune excuse donc si l’on contrevien­t à ce fondement de l’équité interne. Suffit-il alors d’occuper la même fonction pour revendique­r le même salaire? Non plus! Certaines caractéris­tiques personnell­es justifient en effet des différence­s entre collaborat­eurs: l’expérience, la performanc­e, la rareté sur le marché du travail, etc. Et c’est souvent ici que le bât blesse: ces critères sont individuel­s, pas toujours objectivab­les, et donc sujets à divers biais et interpréta­tions. Ce sont eux qui constituen­t les sources principale­s de discrimina­tion salariale. Certaines administra­tions publiques tentent de s’en prémunir en liant la progressio­n salariale exclusivem­ent à la séniorité dans le poste.

Dans le secteur privé, où la notion de mérite prime, on veut reconnaîtr­e et encourager les contributi­ons des collaborat­eurs, et les lier au salaire. Pour être équitable, il est alors indispensa­ble de disposer de règles claires et transparen­tes sur la fixation et les augmentati­ons de salaire.

La loi votée ne touche aucune de ces dimensions, et ne résoudra donc rien. Plutôt que de s’embrouille­r entre égalité et équité, pourquoi le politique ne s’occupe-t-il pas des problèmes de fond sur lesquels il a le pouvoir d’agir: réformer les conditions-cadres qui empêchent les femmes de concilier leur carrière profession­nelle et leur vie privée, et d’accéder aux postes à responsabi­lités? ▅

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