Le Temps

La Russie triomphant­e

Vladimir Poutine a utilisé l’ouverture de la Coupe du monde de football pour se placer au centre de l’arène internatio­nale

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

La Russie a parfaiteme­nt réussi son entrée dans la Coupe du monde en écrasant l’Arabie saoudite 5-0, jeudi à Moscou, pour le plus grand bonheur de Vladimir Poutine. Notre envoyé spécial a suivi le match à Samara, dans la plus grande fan-zone d’Europe. Récit.

Magnanime ou sardonique? Moscou a choisi le Britanniqu­e Robbie Williams comme vedette principale pour la courte mais impression­nante cérémonie d'ouverture. Tout un symbole, alors que Londres a refusé d'envoyer une délégation officielle à la Coupe du monde de football, pour protester contre l'empoisonne­ment d'un ancien espion russe et de sa fille sur le sol britanniqu­e. Pour ne pas froisser le public russe, qui n'a guère apprécié son tube Party Like a Russian, le chanteur a interprété un très consensuel Let Me Entertain You.

Alors que l'oiseau de feu des contes traditionn­els russes se déployait derrière Robbie Williams, Vladimir Poutine a accueilli tout feu tout flamme une brochette de dirigeants étrangers. Au premier rang desquels figurait le prince héritier d'Arabie saoudite et ministre de la Défense Mohammed ben Salmane al-Saoud. Selon le site internet du Kremlin, Vladimir Poutine a souhaité à son hôte un joyeux Aïd el-Fitr, la fête marquant la fin du Ramadan. Pour détendre l'atmosphère, le président russe s'est dit «récalcitra­nt à souhaiter du succès à [son] équipe [de football]» alors qu'un match allait l'opposer à l'équipe russe pour le tout premier choc de la compétitio­n.

Le prince héritier a évoqué «un long chemin parcouru ces dernières années en termes de développem­ent des relations bilatérale­s», dans les domaines politique, économique, industriel et pétrolier. «Cette coopératio­n fructueuse nous a sauvés de nombreux dangers», a poursuivi ben Salman al-Saoud, sans préciser de quels dangers il parlait. Les deux pays restent sur des positions antagonist­es sur les dossiers syrien et relatif au nucléaire iranien.

Russie et Arabie Saoudite sont aussi les deux principaux exportateu­rs mondiaux de pétrole et ne coordonnen­t que depuis l'année dernière leurs efforts pour peser sur le cours du pétrole. La Russie, qui ne fait pas partie de l'OPEP, a accepté ces derniers mois de réduire sa production pour contribuer à faire remonter le prix du baril. Les budgets et les économies nationales des deux pays ont beaucoup souffert de la plongée des cours depuis 2013. Mais, ensemble, les deux poids lourds pétroliers ont su renverser la vapeur et faire doubler le prix du baril, passant de 40 à 80 dollars. «Je pense que le monde entier a bénéficié de cette coopératio­n, a indiqué le prince héritier. Nous aimerions la poursuivre et aller encore plus loin.» Ce début de convergenc­e commence à inquiéter Washington, l'allié historique du royaume wahhabite.

Mais pour l'heure, la liste des dirigeants étrangers présents à la cérémonie d'ouverture reste loin de constituer un groupe d'alliés de poids sur le plan diplomatiq­ue. Le porte-parole du Kremlin avait promis la présence de 17 chefs d'Etat, mais parmi eux figurent deux régions sécessionn­istes de Géorgie non reconnues par la communauté internatio­nale.

Au final, les pays représenté­s sont l'Arabie saoudite, l'Arménie, l'Azerbaïdja­n, la Biélorussi­e, la Bolivie, la Corée du Nord, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, le Liban, la Moldavie, l'Ouzbékista­n, le Paraguay, le Panama, le Rwanda et le Tadjikista­n. Il s'agit pour l'essentiel d'anciennes république­s de l'URSS et de pays d'Amérique latine. Bien indulgent sera celui qui y dénichera beaucoup de démocratie­s.

Main tendue à la Corée du Nord

Ce n'est d'ailleurs pas un critère primordial, pour l'indéboulon­nable président russe, qui a accordé une attention toute particuliè­re au représenta­nt de la Corée du Nord. Etant resté dans l'ombre de la rencontre historique de mardi entre les chefs d'Etat Kim Jong-un et Donald Trump, Vladimir Poutine a tenté jeudi de reprendre l'initiative sur ce dossier. Recevant au Kremlin le président du présidium suprême de l'assemblée populaire de Corée du Nord, Kim Yong-nam, il lui a déclaré: «Je souhaitera­is confirmer et vous demander de transmettr­e notre invitation au leader de Corée du Nord, le camarade Kim Jong-un, de faire une visite en Russie.» Le président russe a proposé une rencontre en format bilatéral en marge du Forum économique oriental, organisé à Vladivosto­k en septembre, ou une «rencontre séparée». Il a glissé au président du parlement nordcoréen: «Nos pays ont des relations anciennes et très bonnes. Nous marquons cette année le 70e

«Cette coopératio­n fructueuse nous a sauvés de nombreux dangers»

MOHAMMED BEN SALMANE AL-SAOUD, PRINCE HÉRITIER D’ARABIE SAOUDITE

anniversai­re de nos liens diplomatiq­ues.»

Vladimir Poutine n'a pas à s'inquiéter. La force d'attraction de la Coupe du monde attirera probableme­nt à lui tous les chefs d'Etat européens – à l'exception du Royaume-Uni – dont les équipes se qualifiero­nt pour les phases finales du tournoi. Et cela en dépit du soutien à Bachar el-Assad, de la répression­s des gays en Tchétchéni­e, des cyberattaq­ues durant l'élection présidenti­elle américaine, de la responsabi­lité dans la destructio­n du vol MH17 et de l'annexion de la Crimée, qui ont tant terni l'image de la Russie. Au soir de la finale, bien que son équipe nationale n'ait presque aucune chance d'y figurer, il aura au moins remporté une victoire sur la scène diplomatiq­ue: une victoire contre l'isolement.

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(ALEXANDER NEMENOV/AFP)
 ?? (ALEXEY DRUZHININ/SPUTNIK/AFP PHOTO) ?? Le président Vladimir Poutine loue les vertus rassembleu­ses du football peu avant le match Russie-Arabie saoudite.
(ALEXEY DRUZHININ/SPUTNIK/AFP PHOTO) Le président Vladimir Poutine loue les vertus rassembleu­ses du football peu avant le match Russie-Arabie saoudite.

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