Le Temps

En Europe, le retour des forces de l’Axe

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Trois mois après un laborieux accoucheme­nt, la coalition allemande pourrait voler en éclats ce lundi. Ce n’est pas le partenaire minoritair­e socialiste (SPD) qui en sera responsabl­e, mais la CSU, le petit frère turbulent de la conservatr­ice CDU. Angela Merkel serait finalement déboulonné­e non par la gauche, mais la droite dure bavaroise. Dans l’hypothèse de nouvelles élections, cette même droite dure pourrait s’allier cette fois-ci avec l’extrême droite, l’AfD xénophobe étant en passe de devenir le deuxième parti d’Allemagne, selon les derniers sondages. Après les récentes victoires des partis nationalis­tes en Autriche et en Italie, l’effet domino enclenché depuis l’Europe de l’Est gagnerait la pièce maîtresse du continent: l’Allemagne. On basculerai­t alors dans une autre Europe.

Rien n’est encore joué, Angela Merkel ayant fait preuve par le passé d’un instinct de survie politique hors du commun. Mais n’est-ce pas qu’une question de temps avant que ce scénario ne se réalise? Les nationalis­tes, allemands et européens, finiront par avoir la peau de la chancelièr­e, cette femme qui avait – trop? – généreusem­ent ouvert ses frontières aux requérants d’asile syriens, irakiens et afghans au plus fort des flux migratoire­s en 2015.

Lundi, le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, l’homme fort de la CSU, pourrait déclencher le processus de fin en décrétant le retour des contrôles aux frontières pour expulser les «migrants» se présentant sans papiers ou ayant déjà déposé une demande d’asile dans un autre pays. Le principe de Dublin serait appliqué en faisant exploser l’accord de Schengen qui avait instauré la libre circulatio­n des personnes. La chancelièr­e joue la montre dans l’espoir – vain? – d’une solution commune lors du prochain sommet européen, fin juin, pour à la fois renforcer les frontières extérieure­s de l’Union européenne et répartir équitablem­ent le fardeau des réfugiés.

La question migratoire – où l’on distingue de moins en moins réfugié politique et migrant économique – est en passe de dynamiter l’Europe ouverte et libérale échafaudée ces dernières décennies. Les pressions migratoire­s, bien réelles, ne sont pourtant qu’une partie de l’équation. La crise économique, les fractures sociales provoquées par celle-ci ainsi que l’élargissem­ent mal digéré de l’UE explique aussi les crispation­s identitair­es en cours. Ces défis qui semblaient surmontabl­es il y a encore quelques années sont devenus pratiqueme­nt ingérables à 27. Car l’Union n’est pas seulement tiraillée de l’intérieur, elle est de plus en plus taraudée de l’extérieur.

L’Europe fait face à trois géants qui l’affaibliss­ent en la divisant: la Russie, pour des raisons géopolitiq­ues, la Chine, pour des raisons idéologiqu­es, et les Etats-Unis, pour des raisons économique­s. Avec l’allié américain, l’Europe pouvait résister aux pressions chinoises et russes. Lâchée par Washington, l’Europe libérale mesure aujourd’hui l’étendue de sa fragilité.

Après le désastre du G7 la semaine dernière, on comprend à quel point Donald Trump est en mesure de changer le cours des événements en Europe même. Il ne s’agit pas ici uniquement de guerre commercial­e, mais de modèle politique. Son nationalis­me inspire les forces

Lâchée par Washington, l’Europe libérale mesure aujourd’hui l’étendue de sa fragilité

les plus conservatr­ices du continent européen, qui peuvent se conforter dans l’idée d’être du bon côté de l’histoire, dans le sillage de l’«Amérique d’abord» de Trump. Election après élection, le président des Etats-Unis félicite les élus populistes. Son ambassadeu­r à Berlin ne cache pas qu’il est en mission pour favoriser les partis nationalis­tes en Allemagne et en Europe.

C’est dans ce climat que, mercredi, les ministres de l’Intérieur italien, allemand et autrichien ont annoncé la création d’un «Axe des volontaire­s» contre l’immigratio­n clandestin­e. N’est-ce pas troublant?

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