L’Argentine proche de légaliser l’avortement
SOCIÉTÉ La Chambre basse a approuvé un projet de loi autorisant l’IVG, malgré d’intenses pressions de l’Eglise. Le texte doit encore passer par le Sénat
Dans une décision historique, les députés argentins ont voté de justesse en première lecture, jeudi 14 juin au matin, après vingt-trois heures de débats, la dépénalisation et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le recours à l’avortement est passible de quatre ans de prison depuis plus d’un siècle. La loi, qui a été approuvée à une étroite majorité de 129 voix contre 125 et 1 abstention, doit encore passer devant le Sénat avant d’être définitivement adoptée.
«Education sexuelle pour décider, contraceptifs pour ne pas avorter, avortement légal pour ne pas mourir»
SLOGAN DE LA CAMPAGNE NATIONALE
«C’est incroyable, je pleure et je ris en même temps, cela fait tellement d’années que nous nous battons pour ce droit!» s’est exclamée au téléphone, à la lecture des résultats, la militante Celeste Mac Dougall, membre de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risque et gratuit, un collectif de quelque 500 ONG en lutte depuis treize ans. «C’est un triomphe historique, qui change le panorama politique du pays», a renchéri la psychanalyste Martha Rosenberg, qui milite, elle, depuis trente ans pour la légalisation de l’IVG.
Toute la nuit à Buenos Aires, des centaines de milliers de personnes – dont beaucoup d’adolescentes – étaient restées devant le Congrès malgré le froid, allumant des feux, chantant et dansant pour se réchauffer et arborant un foulard vert, symbole de la lutte pour l’avortement légal. «Si l’avortement n’est pas voté, ça va barder, scandaient-elles, avortement légal maintenant!» avant d’entonner le slogan historique de la campagne nationale: «Education sexuelle pour décider, contraceptifs pour ne pas avorter, avortement légal pour ne pas mourir.»
Par peur des affrontements, la police avait installé des barrières divisant en deux la place du Congrès, les anti-choix ayant aussi décidé de manifester pendant les débats. Réunis autour de cierges pour prier et dire «oui à la vie», ceux-ci n’étaient pas plus de quelques milliers et se sont dispersés au milieu de la nuit, avant de revenir au petit matin.
«L’oeuvre du diable»
La nouvelle loi autorise l’IVG sur demande de la femme pendant les quatorze premières semaines de grossesse. Au-delà de ce terme, l’avortement reste possible en cas de viol, de danger pour la santé de la femme enceinte et de malformation du foetus rendant impossible la vie extra-utérine.
Une révolution dans ce pays à majorité catholique. Certes, le Code pénal de 1921 (alors que les femmes n’avaient pas encore le droit de vote) établissait des exceptions dans ces trois situations, mais celles-ci étaient rarement appliquées par crainte de représailles judiciaires ou par conviction idéologique.
En Argentine, entre 300 000 et 500 000 femmes avortent pourtant tous les ans, selon une étude commandée en 2005 par le Ministère de la santé, et entre 100 et 300 en meurent, selon les ONG. Des chiffres flous du fait de la clandestinité de la pratique.
Pendant les débats, le pape François a su se faire discret, lui qui n’avait pas hésité, en 2010, alors qu’il était archevêque de Buenos Aires, à mener l’opposition au mariage pour tous, qu’il avait qualifiée d'«oeuvre du diable». L’Eglise, cependant, a exercé un intense lobbying ces dernières semaines pour convaincre les députés de voter contre le projet. Certains d’entre eux se sont plaints de pressions et même de menaces.
Les débats au Sénat devraient avoir lieu en septembre. Là, le vote sera encore plus serré. A la Chambre haute, le poids des provinces est plus important, et celles-ci sont plus perméables au pouvoir de l’Eglise, surtout les plus pauvres du Nord. Le président Mauricio Macri, qui a lancé le processus au parlement, sans donner de consigne de vote, a promis que si la loi était finalement votée, il ne poserait pas son veto.
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