Le Temps

Le Conseil fédéral à l’écoute de son industrie

- M. G.

A l’avenir, le gouverneme­nt accordera des dérogation­s permettant la livraison de matériel de guerre vers des pays en conflit armé interne

Le Conseil fédéral a l’intention d’assouplir l’ordonnance sur le matériel de guerre. Il a pris ce vendredi 15 juin une décision de principe dans ce sens, dans laquelle il souligne la nécessité d’adapter les critères d’autorisati­on. Au moment de soupeser les intérêts de l’économie et ceux de la tradition humanitair­e de la Suisse, il a clairement fait son choix. «La Suisse doit garantir le maintien d’une capacité industriel­le adaptée aux besoins de sa défense», estime-t-il.

Longtemps, ce sujet a donné lieu à des bras de fer fratricide­s entre les deux ministres PLR Johann Schneider-Ammann et Didier Burkhalter. Le Neuchâtelo­is s’était toujours opposé à une modificati­on de cette ordonnance. Depuis l’arrivée d’Ignazio Cassis à la tête du Départemen­t fédéral des affaires étrangères, il fallait donc s’attendre à ce que le Conseil fédéral change de cap: dans la majorité, on trouve désormais les deux PLR et les deux UDC Guy Parmelin et Ueli Maurer, tandis qu’Alain Berset, Simonetta Sommaruga (PS) et Doris Leuthard (PDC) sont minorisés.

Concrèteme­nt, le Conseil fédéral veut modifier l’alinéa 2a de l’article 5 de l’ordonnance sur le matériel de guerre. Celui-ci stipule actuelleme­nt qu’une autorisati­on d’exportatio­n n’est pas accordée «si le pays de destinatio­n est impliqué dans un conflit armé interne». Or ce refus ne sera à l’avenir plus systématiq­ue. Cette révision de l’ordonnance permettra au Conseil fédéral et à l’administra­tion de «procéder à une appréciati­on plus nuancée des exportatio­ns de matériel de guerre, tout en respectant les obligation­s internatio­nales et les principes de la politique étrangère de la Suisse».

«Une question de survie» pour l’industrie

Le Conseil fédéral ne s’en cache pas. Il a écouté les doléances de l’industrie suisse de l’armement, qui fournit quelque 25000 emplois. Celle-ci a adressé une lettre à la Commission de sécurité du Conseil des Etats. Elle note que la situation économique de la branche est tendue «au point de mettre en danger la base technologi­que et industriel­le adaptée pour la sécurité du pays». Ces cinq dernières années, le volume des exportatio­ns a chuté de 870 à 450 millions de francs en 2017.

Le gouverneme­nt se veut toutefois rassurant: en principe, la livraison de matériel de guerre à des pays impliqués dans un conflit armé interne continuera d’être refusée. Il ne veut donner son aval que dans des cas particulie­rs, «lorsqu’il n’y a aucune raison de penser que le matériel sera utilisé dans le conflit». Ces dérogation­s ne s’appliquero­nt ainsi pas à des pays rongés par la guerre civile, comme la Syrie et le Yémen aujourd’hui.

Du côté de l’économie, on se montre satisfait. «La décision de principe du Conseil fédéral permettra à notre industrie indigène de disposer des mêmes conditions-cadres que nos concurrent­s des pays européens. Etant donné que le marché suisse se rétrécit, cet assoupliss­ement de l’ordonnance est une question de survie pour notre branche», se réjouit Christophe Gerber, vice-président du Groupement romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM).

Une attitude «cynique»

Du côté politique, le centre gauche se désole en revanche de cette décision. «La majorité de droite du Conseil fédéral montre le mépris qu’elle accorde au respect des droits humains dans les régions en crise», dénonce le Parti socialiste. Mais il n’y a pas que la gauche à critiquer l’option prise par le Conseil fédéral. Le Parti bourgeois-démocratiq­ue (PBD) ne la comprend pas davantage. «Un assoupliss­ement de l’ordonnance accroît le volume d’armes dans les régions en crise que les population­s fuient. Il serait vraiment cynique que la Suisse, par ses exportatio­ns d’armes, soit coresponsa­ble d’une hausse des flux migratoire­s qui déferlent ensuite sur l’Europe et la Suisse», note le président du PBD, Martin Landolt. Son parti vient de déposer trois interventi­ons parlementa­ires à ce sujet. Il exige désormais que cette question sensible des exportatio­ns d’armes soit soumise au parlement, puis au peuple.

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