Le Temps

«La débâcle du Giétro a fait naître la glaciologi­e»

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

CATASTROPH­E Il y a deux cents ans, la catastroph­e du glacier du Giétro coûtait la vie à 36 personnes. Ce drame est à l’origine de la théorie glaciaire et de la glaciologi­e. Explicatio­ns avec Emmanuel Reynard, professeur de géographie physique à l’Université de Lausanne

«La fonte des glaciers est très rapide. C’est un indicateur visible du réchauffem­ent global de la Terre»

Le val de Bagnes célèbre ce week-end le bicentenai­re de la catastroph­e du Giétro, qui a coûté la vie à 36 personnes. De ce drame découleron­t la théorie glaciaire et la glaciologi­e. Explicatio­ns avec Emmanuel Reynard, professeur de géographie physique à l’Université de Lausanne.

Quel rôle a joué la débâcle glaciaire du Giétro dans le développem­ent de la glaciologi­e? En 1818, le contexte est triplement favorable à la préparatio­n de la théorie glaciaire. A cette époque, nous vivons les dernières décennies du Petit Age glaciaire, une période relativeme­nt froide qui permet aux glaciers d’avancer. Le développem­ent du tourisme permet, en parallèle, un changement de perception de la montagne. Elle n’est plus source de craintes mais d’attrait. Enfin, c’est à cette période que les scientifiq­ues se rendent compte de l’importance de se rendre sur le terrain. Tout cela offre un terreau de base au développem­ent de la théorie glaciaire. La débâcle du Giétro va jouer un rôle d’accélérate­ur dans ce processus. Les scientifiq­ues, qui vont se rendre sur place, se retrouvent en contact avec des habitants de la région, comme Jean-Pierre Perraudin. Ce paysan de Lourtier, qui pratique la montagne au quotidien, suggère notamment que les glaciers ont été plus grands par le passé et que ce sont eux qui ont déplacé les blocs erratiques et non pas les cours d’eau. Cette mise en contact de deux approches d’un même phénomène contribue au développem­ent de la glaciologi­e et fait du val de Bagnes l'un des hauts lieux des prémices de cette science.

Que conserve-t-on aujourd’hui de ces prémices de la glaciologi­e? Tout d’abord l’importance de l’observatio­n, des travaux de terrain. Cette approche, qui se fait actuelleme­nt au moyen d’autres outils que le seul oeil humain, est centrale et pas seulement en glaciologi­e. La débâcle du Giétro a également permis de réaliser de nombreuses avancées en termes de protection contre les dangers naturels et de gestion des risques. Certaines des pratiques mises en place à l’époque se retrouvent aujourd’hui encore au coeur de la politique de gestion des risques en Suisse. La catastroph­e de 1818 a également mis au jour le lien étroit entre le climat et les glaciers. Il n'est, par exemple, pas toujours facile pour le grand public de comprendre que le réchauffem­ent climatique est déjà d’actualité, mais que ses répercussi­ons ne seront réellement perceptibl­es qu’à moyen terme. Les glaciers nous sont donc d’une grande aide. Ce sont de formidable­s indicateur­s de la variation du climat. Contrairem­ent à d’autres phénomènes, comme la migration de certaines espèces animales, la fonte des glaciers est très rapide. C’est un indicateur visible du réchauffem­ent global de la Terre.

Les glaciers suisses nous apportent donc des indication­s sur le climat global de notre planète? Oui. Les questions climatique­s globales et locales sont étroitemen­t liées. Nous avons également appris cela de la débâcle de 1818. L’avancée du glacier du Giétro est notamment due à l’éruption d’un volcan en Indonésie trois ans plus tôt. Les cendres qui s'en sont échappées ont entraîné un refroidiss­ement global et ont donc permis aux glaciers de gagner du terrain. Aujourd’hui, avec le réchauffem­ent climatique, nous vivons la situation inverse. Les glaciers reculent.

Et vont-ils continuer à reculer? Sur le très long terme, à savoir quelques millions d’années, impossible à dire. Mais dans un avenir proche, oui. Clairement.

 ??  ?? EMMANUEL REYNARD PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
EMMANUEL REYNARD PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland