Pour faire du protectionnisme, il faut connaître la nationalité d’un produit…
… Et dans un monde globalisé, c’est loin d’être facile. Quand le président Trump impose des tarifs sur l’aluminium ou l’acier, il est relativement facile d’en déterminer la provenance. Pour faire simple, l’acier vient d’Allemagne et l’aluminium du Canada. Quand l’Europe élabore des mesures de représailles sur le whisky ou le jus d’orange, c’est tout aussi commode d’en déterminer l’origine. Ce sont des produits homogènes.
Mais quand il s’agit de déterminer la nationalité de produits qui sont le résultat d’un assemblage complexe de composants venus de différentes parties du monde, c’est une autre histoire. Il y a quelques années, des chercheurs de l’Université de Californie avait retracé l’origine des 431 composants d’un iPod. Ils venaient pratiquement du monde entier pour être assemblés en Chine dans les usines de Foxconn à Longhua. En fin de compte, la valeur ajoutée chinoise sur le produit final ne dépassait pas 5%. Mais à l’arrivée aux douanes américaines, l’iPod était statistiquement considéré comme un produit chinois. Vraiment?
Le déficit commercial américain est certes le résultat d’importations qui viennent par exemple du Mexique ou de la Chine. Mais 40% des importations mexicaines vers les Etats-Unis sont faites par des entreprises américaines implantées au Mexique ou par des entreprises mexicaines qui sont des fournisseurs attitrés de sociétés américaines. Il en est de même pour la Chine, qui est devenue une source d’approvisionnement privilégiée pour les entreprises des pays occidentaux qui y opèrent souvent leurs propres usines.
Et comment comptabiliser les produits qui ne sont pas facturés? Par exemple, Hal Varian, l’économiste en chef de Google, estime que la valeur du logiciel Android mis à disposition gratuitement par Google pour les smartphones qui opèrent sur cette plateforme serait de 200 milliards de dollars par an. S’il était facturé, il comblerait 50% du déficit commercial américain…
Dans une escalade des représailles, le président américain menace l’industrie automobile allemande. Pourtant, BMW produit des voitures à Spartanburg, en Caroline du Sud, Mercedes le fait à Vance, en Alabama, et Volkswagen à Chattanooga, au Tennessee. Or ces usines font aussi des exportations. Sur les 371 316 voitures produites par BMW sur son site de Spartanburg (essentiellement le modèle X5), 70% sont exportées. Est-ce que ce sont des voitures américaines ou allemandes?
La Convention de Kyoto qui est entrée en vigueur en 1974 a essayé de mettre de l’ordre dans tout cela. Elle a fixé des normes d’origine pour les produits selon un pourcentage de contenu local ou selon le principe de la dernière transformation la plus importante. Mais cela ne suffit plus. A l’heure de la globalisation et de l’informatisation de la chaîne des valeurs, la nationalité des produits est devenue non seulement plus complexe mais elle est aussi plus volatile: l’origine et l’assortiment des composants peuvent changer d’un mois à l’autre.
Ce que semblent ignorer le président américain tout comme les partisans du Brexit, c’est qu’il est aujourd’hui extraordinairement difficile de démêler une économie de son contexte mondial. Les Etats-Unis ont investi pour environ 8000 milliards de dollars dans le reste du monde, tandis que celui-ci en détient pour près de 7000 milliards de dollars aux EtatsUnis. Globalement, les investissements directs représentent 35% du produit intérieur brut mondial et emploient plus de 80 millions de personnes. En économie, comme dans la vie privée, un divorce est plus difficile et coûteux qu’un mariage.
Pour y voir plus clair, il faudrait se concentrer sur la valeur ajoutée d’un produit et non pas sur son origine comme le font les statistiques douanières. C’est d’ailleurs ce que mettent en avant plusieurs recherches de l’OMC et de l’OCDE. Mais tout se complique quand la valeur vient aussi de l’économie des données ou de transactions qui se font par blockchains. Dans ce monde décentralisé et immatériel, qui est propriétaire de quoi?
Nous sommes bien loin des tweets simplistes et rageurs du président américain. Mais malheureusement, il faudra vivre avec. Comme le soulignait John Maynard Keynes, «tous les problèmes sont économiques et toutes les solutions sont politiques». Malheureusement…
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