Le président congolais Joseph Kabila gagne son bras de fer contre Glencore
MATIÈRES PREMIÈRES Le géant zougois de l’extraction tente de solder ses litiges au Congo-Kinshasa. Mais il reste sous la pression d’un gouvernement en pleine campagne électorale qui cherche à revaloriser ses minerais stratégiques, et des Etats-Unis, qui enquêtent sur l’un de ses anciens partenaires
C'est un véritable casse-tête pour Glencore. Le géant zougois de l'extraction et du négoce de matières premières est actuellement sur tous les fronts pour tenter de résoudre ses litiges en République démocratique du Congo (RDC) et rassurer ses actionnaires.
Coup sur coup, il a annoncé mardi avoir trouvé une solution pour régler son différend commercial avec la compagnie minière d'Etat Gécamines et, vendredi, pour payer son ancien partenaire, l'homme d'affaires israélien Dan Gertler, en évitant les sanctions américaines.
Marteau américain, enclume congolaise
Réputé proche du président Joseph Kabila, le sulfureux milliardaire avait entamé une procédure judiciaire en avril dernier, réclamant un dédommagement de près de 3 milliards de dollars à Glencore pour n'avoir pas payé les droits de licence sur deux mines. Le magnat du diamant Dan Gertler avait cédé, il y a un an et demi, contre 534 millions de dollars, des parts dans les sites de Mutanda et de Kamoto, exploitant des gisements de cobalt et de cuivre, indispensables à la production des batteries des voitures électriques. Or l'homme d'affaires figure depuis décembre sur la liste américaine des individus visés par des sanctions économiques.
Glencore se trouvait dans une position délicate dans cette affaire: reprendre des paiements à risque vers un homme dans le collimateur de Washington ou prendre le «risque matériel de se faire saisir ses actifs par ordre de la justice congolaise», selon son propre aveu.
Le groupe de Baar (ZG) affirme avoir sondé les autorités américaines et suisses avant de prendre la décision de s'acquitter des quelques dizaines de millions d'euros qu'il devait à Dan Gertler. En contournant les intermédiaires américains, Glencore espère éviter une lourde amende, mais n'a pas confirmé à l'agence Bloomberg s'il avait obtenu des garanties des autorités en ce sens. L'homme d'affaires s'est, lui, engagé à renoncer à ses poursuites judiciaires.
Le négociant Glencore a dépensé sans compter depuis l'acquisition du groupe Xstrata en 2013 pour développer ses capacités extractives. Rien qu'en RDC, Glencore revendique 7 milliards de dollars d'investissements entre 2015 et 2017 et soutient avoir payé 1,6 milliard de dollars de taxes.
L’introduction d’un nouveau code minier prévoit une hausse des taxes, passant de 2% à 3,5% des revenus, voire de 2% à 10% pour le cobalt
Insuffisant pour le gouvernement de Joseph Kabila. En pleine campagne pour sa réélection, celui qui dirige le Congo depuis 2001 mène un bras de fer avec les entreprises minières internationales pour revaloriser ses «substances stratégiques». L'introduction d'un nouveau code minier vendredi 8 juin prévoit une hausse générale des taxes, passant de 2% à 3,5% des revenus, voire de 2% à 10% pour le cobalt.
L'Etat congolais a aussi menacé de fermer la mine de Kamoto si Glencore ne recapitalisait pas leur coentreprise KCC, dont la dette atteignait 9,2 milliards de dollars à la fin de décembre. L'accord avec Gécamines – par lequel Glencore s'engage à effacer 5,6 milliards de dollars de créances – doit permettre, dans la décennie à venir, «de faire monter les taxes sur les bénéfices à 3,5 milliards. Et les dividendes de Gécamines devraient excéder 2 milliards», fanfaronnait mercredi le président de la compagnie d'Etat, Albert Yuma.
Bourbier congolais
Marc Guéniat, de l'ONG Public Eye, juge encourageant que l'Etat congolais cherche à obtenir davantage de revenus de son sol, mais s'étonne qu'il ait toléré que KCC ne génère pas de bénéfices depuis l'entrée au capital de Glencore en 2008, et donc pas d'impôts pour la collectivité. «En réglant tous ses différends, Glencore cherche évidemment à sécuriser ses actifs congolais, mais aussi à s'assurer que les trois parties (l'entreprise, l'Etat congolais et Dan Gertler, ndlr) restent unies sur le front judiciaire.»
Une demande d'entraide émanant de la justice américaine vers la Suisse vise actuellement les activités de Dan Gertler. Et, le 18 mai, l'annonce d'une possible enquête des autorités britanniques pour corruption de Glencore (coté à Londres) avait momentanément fait chuter son titre de quelque 10%, avant qu'il se reprenne en fin de journée. Au-delà des hausses d'impôts, le groupe zougois veut convaincre ses investisseurs qu'il ne perd pas pied dans le bourbier congolais.
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