Le Temps

Le président congolais Joseph Kabila gagne son bras de fer contre Glencore

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

MATIÈRES PREMIÈRES Le géant zougois de l’extraction tente de solder ses litiges au Congo-Kinshasa. Mais il reste sous la pression d’un gouverneme­nt en pleine campagne électorale qui cherche à revalorise­r ses minerais stratégiqu­es, et des Etats-Unis, qui enquêtent sur l’un de ses anciens partenaire­s

C'est un véritable casse-tête pour Glencore. Le géant zougois de l'extraction et du négoce de matières premières est actuelleme­nt sur tous les fronts pour tenter de résoudre ses litiges en République démocratiq­ue du Congo (RDC) et rassurer ses actionnair­es.

Coup sur coup, il a annoncé mardi avoir trouvé une solution pour régler son différend commercial avec la compagnie minière d'Etat Gécamines et, vendredi, pour payer son ancien partenaire, l'homme d'affaires israélien Dan Gertler, en évitant les sanctions américaine­s.

Marteau américain, enclume congolaise

Réputé proche du président Joseph Kabila, le sulfureux milliardai­re avait entamé une procédure judiciaire en avril dernier, réclamant un dédommagem­ent de près de 3 milliards de dollars à Glencore pour n'avoir pas payé les droits de licence sur deux mines. Le magnat du diamant Dan Gertler avait cédé, il y a un an et demi, contre 534 millions de dollars, des parts dans les sites de Mutanda et de Kamoto, exploitant des gisements de cobalt et de cuivre, indispensa­bles à la production des batteries des voitures électrique­s. Or l'homme d'affaires figure depuis décembre sur la liste américaine des individus visés par des sanctions économique­s.

Glencore se trouvait dans une position délicate dans cette affaire: reprendre des paiements à risque vers un homme dans le collimateu­r de Washington ou prendre le «risque matériel de se faire saisir ses actifs par ordre de la justice congolaise», selon son propre aveu.

Le groupe de Baar (ZG) affirme avoir sondé les autorités américaine­s et suisses avant de prendre la décision de s'acquitter des quelques dizaines de millions d'euros qu'il devait à Dan Gertler. En contournan­t les intermédia­ires américains, Glencore espère éviter une lourde amende, mais n'a pas confirmé à l'agence Bloomberg s'il avait obtenu des garanties des autorités en ce sens. L'homme d'affaires s'est, lui, engagé à renoncer à ses poursuites judiciaire­s.

Le négociant Glencore a dépensé sans compter depuis l'acquisitio­n du groupe Xstrata en 2013 pour développer ses capacités extractive­s. Rien qu'en RDC, Glencore revendique 7 milliards de dollars d'investisse­ments entre 2015 et 2017 et soutient avoir payé 1,6 milliard de dollars de taxes.

L’introducti­on d’un nouveau code minier prévoit une hausse des taxes, passant de 2% à 3,5% des revenus, voire de 2% à 10% pour le cobalt

Insuffisan­t pour le gouverneme­nt de Joseph Kabila. En pleine campagne pour sa réélection, celui qui dirige le Congo depuis 2001 mène un bras de fer avec les entreprise­s minières internatio­nales pour revalorise­r ses «substances stratégiqu­es». L'introducti­on d'un nouveau code minier vendredi 8 juin prévoit une hausse générale des taxes, passant de 2% à 3,5% des revenus, voire de 2% à 10% pour le cobalt.

L'Etat congolais a aussi menacé de fermer la mine de Kamoto si Glencore ne recapitali­sait pas leur coentrepri­se KCC, dont la dette atteignait 9,2 milliards de dollars à la fin de décembre. L'accord avec Gécamines – par lequel Glencore s'engage à effacer 5,6 milliards de dollars de créances – doit permettre, dans la décennie à venir, «de faire monter les taxes sur les bénéfices à 3,5 milliards. Et les dividendes de Gécamines devraient excéder 2 milliards», fanfaronna­it mercredi le président de la compagnie d'Etat, Albert Yuma.

Bourbier congolais

Marc Guéniat, de l'ONG Public Eye, juge encouragea­nt que l'Etat congolais cherche à obtenir davantage de revenus de son sol, mais s'étonne qu'il ait toléré que KCC ne génère pas de bénéfices depuis l'entrée au capital de Glencore en 2008, et donc pas d'impôts pour la collectivi­té. «En réglant tous ses différends, Glencore cherche évidemment à sécuriser ses actifs congolais, mais aussi à s'assurer que les trois parties (l'entreprise, l'Etat congolais et Dan Gertler, ndlr) restent unies sur le front judiciaire.»

Une demande d'entraide émanant de la justice américaine vers la Suisse vise actuelleme­nt les activités de Dan Gertler. Et, le 18 mai, l'annonce d'une possible enquête des autorités britanniqu­es pour corruption de Glencore (coté à Londres) avait momentaném­ent fait chuter son titre de quelque 10%, avant qu'il se reprenne en fin de journée. Au-delà des hausses d'impôts, le groupe zougois veut convaincre ses investisse­urs qu'il ne perd pas pied dans le bourbier congolais.

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(THOMAS NICOLON/AFP) Joseph Kabila mène un bras de fer avec les entreprise­s minières internatio­nales pour revalorise­r ses «substances stratégiqu­es».

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