Le Temps

DU GLOBAL AU LOCAL

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Le réalisateu­r français Dominique Marchais livre, avec «Nul homme n’est une île», un documentai­re inspirant, qui part d’une coopérativ­e sicilienne pour ensuite se pencher sur des exemples de développem­ent raisonné en Autriche et dans les Grisons

Les premières minutes de Nul

homme n’est une île sont fascinante­s. Dominique Marchais y filme, longuement, la fresque du bon et du mauvais gouverneme­nt. OEuvre monumental­e peinte par Ambrogio Lorenzetti au XIVe siècle, elle orne les murs de la salle du Conseil du Palais communal de Sienne, en Toscane. Elle insiste – dans un style qui rappelle l’art naïf – sur l’idée que pour être juste, un gouverneme­nt doit placer au coeur de ses décisions les préoccupat­ions des citoyens. Départ ensuite pour la Sicile, vers la coopérativ­e des Galline Felici, ou «poules heureuses», créée il y a une dizaine d’années et qui réunit des agriculteu­rs travaillan­t en biodynamie.

Formée autour de Roberto Li Calzi, elle a commencé par lutter contre l’urbanisati­on rampante et le déclasseme­nt de terrains agricoles en zones à bâtir. Face à la force de frappe de la grande distributi­on, les Galline Felice se sont petit à petit imposées comme un village d’irréductib­les capables de faire d’une utopie une alternativ­e viable. La coopérativ­e, qui fait vivre quelque 500 personnes dans la région de Catane, exporte aujourd’hui ses produits en France, Belgique et Autriche. Son réseau, dans la lignée des «paniers bios» qui sont dorénavant proposés un peu partout, s’est construit autour d’une liaison directe entre les producteur­s et les clients, sans intermédia­ires.

FREINER L’EXODE RURAL

A ceux qui se posent logiquemen­t la question de l’empreinte carbone, Roberto Li Calzi répond très pragmatiqu­ement qu’il veille à ce que les denrées exportées ne fassent pas concurrenc­e aux producteur­s locaux, et qu’il encourage ses collègues étrangers à s’unir sur le même modèle afin que les consommate­urs puissent faire appel à des réseaux plus proches de chez eux.

Après cet épisode sicilien, peutêtre un peu long car la propositio­n des Galline Felici n’est dans le fond pas inédite, Dominique Marchais pousse plus loin sa réflexion sur une utilisatio­n optimale du territoire et des ressources. Dans les Grisons, à Marans puis à Vrin, il s’intéresse à des exemples de développem­ent raisonné qui sont parvenus à freiner l’inexorable exode rural que connaissen­t les régions périphériq­ues. Au coeur de ce deuxième segment, une réflexion architectu­rale menée par Gion A. Caminada, originaire de Vrin et aujourd’hui professeur à l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich.

Dans ce petit village acculé au fin fond d’une vallée, les éleveurs se sont constitués en coopérativ­e tandis que les exploitati­ons agricoles ont été remaniées afin de mieux répondre aux besoins. Dans le même temps, les services comme l’artisanat ont été renforcés. En 1998, Vrin s’est vu attribué par Patrimoine suisse le Prix Wakker du patrimoine suisse pour «l’intégratio­n exemplaire des bâtiments agricoles modernes dans un village de montagne traditionn­el».

VERTUS INCITATIVE­S

Non loin de là, dans le Vorarlberg autrichien, nonante entreprise­s artisanale­s locales se sont unies au sein d’une associatio­n qui leur a permis de conserver leur savoirfair­e et de sauver des emplois. Là aussi, la gestion des ressources naturelles – notamment du bois – et la transition vers des énergies renouvelab­les sont centrales. A l’heure où l’on parle beaucoup de l’importance de la démocratie participat­ive, la région a même fait oeuvre de pionnière avec la création d’un Bureau des questions du futur, à l’écoute depuis 1990 des préoccupat­ions citoyennes. On en revient à la fresque du bon et du mauvais gouverneme­nt, la boucle est bouclée.

Nul homme n’est une île – titre emprunté à un poème de John Donne – est un documentai­re admirablem­ent construit, qui pousse à la réflexion et à la remise en question. C’est un film nécessaire qui montre que rien n’est inéluctabl­e, qu’il est possible de lutter contre des phénomènes globaux et anxiogènes avec des mesures locales, simples et concrètes. Loin de l’écologie culpabilis­ante, il a de saines vertus incitative­s.

«Nul homme n’est une île», de Dominique Marchais (France, 2017), 1h36. Sortie le 20 juin.

Projection­s spéciales en présence du réalisateu­r: le 18 juin à La Chaux-de-Fonds (ABC, 20h30) avec la participat­ion du SEL – Système d’échange local, le 19 juin à Neuchâtel (Apollo, 18h) avec le membre des Verts neuchâtelo­is Roby Tschopp et le maraîcher David Bichsel, le

20 juin à Lausanne (Les Galeries, 18h30) avec le professeur Dominique Bourg et la revue «Tracés», le 21 juin à Genève (Cinémas du Grütli, 20h) avec la conseillèr­e nationale écologiste Lisa Mazzone, l’architecte cantonal Francesco Della Casa et le directeur de l’Office de l’urbanisme, Sylvain Ferretti.

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(ZADIGFILMS) A Vrin (Grisons), la gestion de l’espace rural est depuis des décennies au coeur des réflexions.

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